« Chimerica » : à la recherche de « l’homme au char »
« Chimerica » : à la recherche de « l’homme au char »
Par Martine Delahaye
La minisérie met en scène un journaliste enquêtant sur le célèbre inconnu de la place Tiananmen.
Un petit homme fluet, chemise blanche et sac plastique au bout du bras, se plante au beau milieu d’une immense avenue vide de monde : il met une colonne de chars à l’arrêt. Puis se déplace de quelques pas pour empêcher le tank de tête de le contourner. Cette scène stupéfiante d’un minuscule quidam chinois faisant face à l’armée, le 5 juin 1989, devint le symbole d’une conscience face au totalitarisme ; de la lutte d’un peuple manifestant pour les droits humains, sauvagement réprimée place Tiananmen, à Pékin, au printemps 1989.
De ce cliché, la dramaturge anglaise Lucy Kirkwood avait fait le point de départ, en 2013, de sa pièce de théâtre multiprimée Chimerica, qu’elle a adaptée cette année en minisérie.
Lucy Kirkwood y met en scène un photoreporter new-yorkais fictif, Lee Berger, qui, quelque trente ans après avoir pris ce cliché qui fit le tour du monde, part à la recherche de son héros inconnu, persuadé qu’il est toujours en vie. Aidé de son ancien contact à Pékin, Zhang Lin – qui fut lui-même un protestataire de la place Tiananmen et y perdit sa femme lors des massacres –, il s’engage dans une enquête, tant en Chine qu’aux Etats-Unis, où l’homme aurait pu trouver refuge, afin de lever le mystère de l’identité de ce célébrissime anonyme qu’est « l’homme au char ».
Un « Bidonneur »
En ce printemps 2016, si le talentueux photographe de guerre du New York Courier qu’est Lee Berger part à la recherche de « l’homme au char » qu’il photographia en 1989, c’est qu’il lui faut retrouver foi en sa vocation de journaliste et prouver qu’il est tout autre chose qu’un « bidonneur ». En effet, lassé de voir ses clichés sur les horreurs de la guerre en Syrie n’apparaître qu’en milieu de journal, il vient de commettre l’irréparable : l’une de ses photos, qui a enfin fait la « une » et pourrait bien lui valoir le prix Pulitzer, s’avère être, en réalité, le montage superposé de deux de ses clichés, comme le révèle le site Vice. Un désastre pour son journal et ses collègues (dont son amie Mel Kincaid, magnifiquement interprétée par Cherry Jones), un blasphème pour l’ensemble de la profession, alors même que Donald Trump mène sa campagne pour la présidence à coups d’infox, de promesses sans fondements et d’attaques contre les médias.
En cette année 2016, donc, alors que tout, dont la presse, portait à croire que jamais le Royaume-Uni ne voterait en faveur du Brexit – le démenti tombe le 23 juin –, alors qu’Hillary Clinton devait de toute évidence devenir la première présidente des Etats-Unis – la minisérie nous replonge dans des extraits de la campagne présidentielle, jusqu’à l’élection de Trump le 8 novembre –, le photoreporter, hier au seuil d’une nouvelle renommée pour son travail en Syrie, a perdu tout crédit. Ce qui l’amène à repartir sur les traces de ses débuts, à Pékin, où il va découvrir que sévit une nouvelle forme de répression, sourde mais redoutable, mise en scène au travers de la vie quotidienne de son ancien contact.
Chimerica – contraction de Chine et America – mêle avec fluidité les époques et, surtout, l’aspect fresque historico-politique à la caractérisation des personnages, en particulier dans les scènes qui se passent en Chine. Sa réalisation très classique se voit largement compensée par une superbe interprétation et un twist final particulièrement intéressant.
Chimerica - Bande annonce - CANAL+
Durée : 01:00
Chimerica, minisérie créée et écrite par Lucy Kirkwood. Avec Alessandro Nivola, Cherry Jones, Terry Chen (GB, 2019, 4 × 60 min). Sur MyCanal et Canal+ Séries (SVOD).