« L’Europe doit s’engager dans une politique de promotion du secteur privé en Afrique »
« L’Europe doit s’engager dans une politique de promotion du secteur privé en Afrique »
Par Etienne Giros et Stefan Liebing
Pour Etienne Giros et Stefan Liebing, les entreprises françaises et allemandes ont besoin de davantage de soutien pour être présentes sur le continent.
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, à Bruxelles, le 5 février 2019. / Francois Lenoir / REUTERS
Tribune Dans son discours sur l’état de l’Union de septembre 2018, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, avait appelé à « une nouvelle alliance entre l’Europe et l’Afrique ». Ce projet est plus que jamais nécessaire. L’Afrique a connu un essor remarquable depuis vingt ans, marqué par un triplement de son produit intérieur brut (PIB). Même si la concurrence de la Chine et des pays émergents est chaque jour plus aiguisée, l’Europe demeure le premier partenaire du continent dans le commerce des marchandises, avec 36 % des échanges, pour une valeur de 244 milliards d’euros.
Mais les défis sont immenses : la population africaine doublera d’ici à 2050 et approchera les 2,5 milliards d’habitants, en majorité citadins. Vingt millions d’emplois doivent être créés chaque année pour absorber cette croissance démographique. Si le développement n’est pas au rendez-vous, la pression migratoire sur l’Europe augmentera massivement.
L’Europe doit changer de paradigme et s’engager dans une politique de promotion systématique du secteur privé, car le développement économique de l’Afrique passe par lui. C’est l’investissement, plus que l’aide publique, qui créera les emplois productifs dont le continent a tant besoin. Les entreprises françaises et allemandes opérant en Afrique en ont pleinement conscience et elles agissent déjà, en investissant, en ouvrant des marchés, en transférant savoir-faire et technologies à leurs filières locales.
Une distorsion de concurrence
En étant mieux accompagnées, et davantage épaulées par leurs gouvernements et par l’Union européenne, elles pourraient faire bien plus. Force est de reconnaître que les mesures prises jusqu’à présent par Bruxelles se sont révélées peu concluantes. Si l’Union européenne veut avoir davantage d’impact, il lui faudra prendre prioritairement trois mesures.
Premièrement, elle doit, de toute urgence, élaborer des instruments facilitant les investissements d’entreprises en Afrique, que ce soit via des garanties adossées au financement des investissements, des accords de libre-échange, ou encore via des conventions fiscales évitant la double imposition. Beaucoup de ces thématiques ont été abordées dans le Plan d’investissement extérieur (PIE) de Jean-Claude Juncker, mais sans avancées notables. Si sa mise en œuvre est renvoyée à l’administration bruxelloise et aux banques de développement des pays membres, ce projet a priori utile n’aura été qu’un pétard mouillé.
Deuxièmement, l’Union européenne, de concert avec l’OCDE, doit veiller à ce que les obligations et les règles de conformité (compliance) et de responsabilité sociale et environnementale soient les mêmes pour tous. Les entreprises françaises et allemandes qui opèrent en Afrique consacrent beaucoup de temps et d’argent pour s’assurer que leurs produits sont fabriqués de manière responsable et dans le respect des droits humains. Leurs concurrents des pays émergents sont généralement moins regardants en la matière, car leurs réglementations internes sont moins contraignantes. Ils bénéficient, de ce fait, d’une distorsion de concurrence.
Réaliser le bond en avant
Pourtant, sous l’effet de critiques émanant de responsables politiques et d’ONG militantes, nos entreprises sont bien souvent montrées du doigt et stigmatisées. Ce climat de suspicion généralisée a un coût. La crainte des conséquences juridiques et réputationnelles liées à leur présence en Afrique peut les inciter à mettre un terme à leur engagement sur le continent et, par ricochet, à un renforcement des positions de leurs concurrents moins vertueux. C’est la double peine !
Nous plaidons pour qu’un socle de normes sociales et environnementales minimales, s’imposant à toutes et à tous, soit défini par l’Europe. La nouvelle Commission, issue des élections du 26 mai, doit se saisir de cette question et s’engager dans une démarche cohérente en faveur des investissements privés en Afrique, sans se laisser influencer par les surenchères idéologiques.
Troisièmement, nous appelons à la création d’une Banque européenne de développement économique en Afrique. Distincte de la BEI (Banque européenne d’investissement), cette structure dédiée au secteur privé permettrait de faciliter le financement des projets africains des entreprises européennes de manière équitable. Qu’il s’agisse de garanties, d’apport en capital pour la phase d’étude ou de démarrage des projets ou de soutien aux PME, une institution affranchie des lourdeurs traditionnelles de l’aide publique au développement pourrait nous aider à réaliser le bond en avant dont nous avons besoin et compléterait utilement les programmes existants au niveau national, dont la portée reste limitée.
La France et l’Allemagne, compte tenu de leurs positions au sein du G7 et du G20 et de leur ancrage africain, doivent plaider d’une même voix auprès la nouvelle Commission européenne. Leurs entreprises sont prêtes et aspirent à s’engager, plus encore qu’elles ne le font, pour agir avec l’Afrique et l’aider à relever ses défis à travers le déploiement du secteur privé.
Etienne Giros est président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) et Stefan Liebing est président d’Afrika-Verein.