« Je ne suis pas votre nègre » : le racisme américain passé aux rayons X
« Je ne suis pas votre nègre » : le racisme américain passé aux rayons X
Par Thomas Sotinel
Le cinéaste haïtien Raoul Peck revisite la lutte pour les droits civiques à travers les textes de James Baldwin.
James Baldwin au début des années 1960. / DAN BUDNIK
La chaîne franco-allemande Arte, qui a participé au financement du film, propose de revoir jusqu’au 30 juin, à la demande, le documentaire de Raoul Peck, Je ne suis pas votre nègre (I Am Not Your Negro). C’est l’occasion de (re)découvrir cette œuvre de cinéma, sortie en salle en mai 2017, qui met cet art au service des mots longtemps oubliés de James Baldwin, l’une des plus importantes voix de la littérature afro-américaine.
Exhumant un texte inachevé de Baldwin écrit en 1979, moment sombre de la cause noire aux Etats-Unis, à la veille de l’élection de Ronald Reagan et de l’épidémie de crack, Raoul Peck l’acclimate au présent, celui du mouvement Black Lives Matter, celui des affrontements de Ferguson et des deux mandats d’un président noir auquel a succédé un candidat soutenu par le Ku Klux Klan.
Le manuscrit de James Baldwin, lu par Samuel Jackson dans la version anglaise, par Joey Starr dans la version française, forme la colonne vertébrale du film.
Dans le riche matériau filmé à l’époque, le réalisateur haïtien puise des images fortes, exaltantes – la marche sur Washington de 1963 – ou terrifiantes – l’entrée dans un lycée de Charlotte (Caroline du Nord) d’une adolescente bombardée d’insultes racistes par ses condisciples et leurs parents.
Pour James Baldwin (1924-1987) le racisme n’est pas une excroissance de la vie américaine qu’il suffirait de couper. C’est l’un de ses éléments essentiels, qu’on ne peut éradiquer sans changer profondément le pacte qui a constitué cette société.
Dans son texte, Baldwin évoque les représentations qu’a générées ce contrat social, en particulier à Hollywood. Peck a de son côté fouillé dans les archives du cinéma et en a sorti, entre autres, une version muette de La Case de l’oncle Tom, qui fait du texte abolitionniste d’Harriet Beecher Stowe un mélodrame dont le racisme n’a rien à envier à celui de Naissance d’une nation, le blockbuster à la gloire du Ku Klux Klan de D. W. Griffith.
Succès inattendu
Pour l’écrivain comme pour le cinéaste, le racisme n’est pas la seule paille de l’acier américain. Pendant que Baldwin moque une société sans âme, tout entière tournée vers l’accumulation des richesses matérielles, Peck choisit avec un entrain féroce des moments de cinéma tirés de comédies sentimentales des ères Eisenhower et Kennedy. En même temps que les chiens attaquaient les manifestants noirs qui demandaient à être servis dans les restaurants du Sud, Doris Day et Rock Hudson batifolaient dans des cuisines scintillantes.
Entre le moment où le film de Raoul Peck a été présenté pour la première fois, au Festival de Toronto, en septembre 2016, et sa sortie en salles aux Etats-Unis, en février, la Maison Blanche avait changé de locataire.
Les images des manifestations de Ferguson, que Raoul Peck avait placées en contrepoint de celles de la répression des marches des années 1960, n’étaient plus seulement un panneau indicateur du chemin restant à parcourir. Elles sont devenues le signe annonciateur de la résistance à une nouvelle politique menée par des dirigeants décidés à défaire ce qui a été accompli.
Je ne suis pas votre nègre y trouve une nouvelle urgence, qui ne concerne pas seulement les Etats-Unis, où le film a remporté un succès inattendu, déplaçant des centaines de milliers de spectateurs, obtenant une nomination à l’Oscar du documentaire, donnant naissance à un mouvement, #knowyourBaldwin, qui exige l’inclusion de l’œuvre de l’écrivain dans le cursus scolaire.
Je ne suis pas votre nègre | ARTE
Durée : 01:26:29
Je ne suis pas votre nègre, de Raoul Peck (Fr., 2017, 94 min). Sur Arte.tv jusqu’au 30 juin.