Un ambulancier, Daniel Darc et Wonderland : une semaine au cinéma
Un ambulancier, Daniel Darc et Wonderland : une semaine au cinéma
Chaque mercredi, dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LA LISTE DE LA MATINALE
« Give Me Liberty » est le second long-métrage de Kirill Mikhanovsky, réalisateur russe venu s’installer aux Etats-Unis dans les années 1990. / GIVE ME LIBERTY / MFG PRODUCTION
Pour échapper à la canicule, direction les salles obscures ! Au programme, cette semaine, une course trépidante à travers Milwaukee en compagnie des laissés-pour-compte de l’Amérique, l’histoire sombre et dérangeante de Daniel Darc, le chanteur de Taxi Girl, et le nouveau film d’animation de Keiichi Hara.
« Give Me liberty » : une ambulance pour les déshérités de l’Amérique
GIVE ME LIBERTY Bande Annonce (2019) Comédie
Durée : 02:18
Si le cinéma indépendant a pour habitude de rendre visibles les minorités et les marginaux, peu de films se risquent à produire une image ou une certaine idée du peuple américain. C’est pourtant vers cet horizon intenable que tend tout entier Give Me Liberty, second long-métrage de Kirill Mikhanovsky, réalisateur né à Moscou et qui est venu s’installer aux Etats-Unis dans les années 1990.
Inspiré par son expérience d’ambulancier à son arrivée sur le sol américain, le film s’inscrit à la croisée de deux influences géographiques, a priori peu conciliables, que porte en lui son réalisateur. D’une part celle, locale, de Milwaukee, dans le Wisconsin, ville rarement visitée par le cinéma, où vivent côte à côte de nombreuses communautés issues de l’immigration. De l’autre, l’origine russe que le cinéaste partage avec ses personnages, vent slave qui emporte le récit dans ses bourrasques de sa folie douce et de son expressivité exacerbée.
Vic (Chris Galust), jeune conducteur de véhicule utilitaire pour personnes sévèrement handicapées, veille également sur un grand-père russe qui retombe dans une enfance particulièrement agitée. Sa camionnette est, en quelque sorte, la métaphore du film : elle est la voiture-balai des derniers laissés-pour-compte de l’Amérique, ceux dont les corps sont dépourvus de la moindre valeur marchande. C’est sans doute là que réside la plus belle idée de Kirill Mikhanovsky : c’est le handicap qui fait le peuple, handicap qu’il faut bien sûr prendre au sens large (non seulement physique, mais aussi social ou symbolique) comme l’absence d’un quelconque privilège. Mathieu Macheret
« Give Me liberty », film américain de Kirill Mikhanovsky. Avec Chris Galust, Lauren « Lolo » Spencer, Maxim Stoyanov (1 h 51). Sur le Web : Givemeliberty-lefilm.com
« Daniel Darc, Pieces of My Life » : élégie pour un chanteur punk défunt
DANIEL DARC: PIECES OF MY LIFE - Bande annonce
Durée : 01:36
La dimension tragique de l’existence de Daniel Darc ne se dessine pas tout de suite dans ce film délicat, qui est plus une élégie qu’une nécrologie filmée. La majorité des images ont été tournées par Marc Dufaud. En 1991, alors que le chanteur entamait un long déclin, consécutif à la séparation de Taxi Girl et à l’échec de son premier albums solo, Dufaud, étudiant en cinéma, avait entrepris de le retrouver et de capturer sa dérive.
Tournées en vidéo, ces images vacillantes esquissent le portrait d’un jeune homme lancé dans une course éperdue pour échapper à sa souffrance. Né à Montmartre (il aurait pu être le petit frère d’Antoine Doisnel), Daniel Rozoum était l’enfant d’un père juif caché pendant l’Occupation (son grand-père a été assassiné à Auschwitz), sa mère restée à Paris y vécut une grande histoire d’amour avec un médecin de la Wehrmacht.
Le spectacle de la souffrance peut vite devenir obscène. Pourtant Daniel Darc, Pieces of My Life est préservé de ce péril. Sans doute parce que l’amitié qui unissait l’un des réalisateurs au musicien mort et l’admiration que le second lui portait les ont guidés, plus que le souci de faire toute la lumière sur cet homme sombre. Thomas Sotinel
« Daniel Darc, Pieces of My Life », documentaire français de Marc Dufaud et Thierry Villeneuve (1 h 41).
« Wonderland, le royaume sans pluie » : une animation nippone en ébullition
Wonderland, le royaume sans pluie - Bande annonce HD VOST
Durée : 01:26
Quatre ans après son superbe Miss Hokusai, sur la vie de la fille du peintre Hokusai, Keiichi Hara revient avec Wonderland, le royaume sans pluie, un long-métrage moins personnel, et surtout plus grand public. C’est ce qu’ont souhaité les producteurs commanditaires du film – la chaîne privée japonaise Fuji Television Network – dont le projet d’adapter le roman pour enfants L’Etrange Voyage depuis la cave, de Sachiko Kashiwaba, l’histoire d’une fillette désignée pour sauver de la sécheresse un royaume lointain, devait tendre au divertissement et verser dans le fantastique. Ce à quoi s’est plié sans réserve le cinéaste.
Habitué aux films de commande, Keiichi Hara sait contourner les contraintes. Celles qui lui étaient données cette fois lui ouvraient, a-t-il estimé, un vaste champ de liberté. Il l’a saisi avec jubilation. C’est sans doute pourquoi Wonderland, le royaume sans pluie semble à ce point témoigner d’un esprit en ébullition qui peine à se canaliser, tant il mêle influences, références cinématographiques et univers hétéroclites.
Keiichi Hara fait exploser les couleurs, brise brutalement leur éclat par l’introduction de séquences d’apocalypse industrielle, puis reprend sa palette étincelante. De la même façon qu’il passe, par soubresaut, du conte revisité (une fille sort un prince de son long sommeil), au film d’époque puis à la fable écologique. Véronique Cauhapé
« Wonderland, le royaume sans pluie », film d’animation japonais de Keiichi Hara (1 h 55). Sur le Web : Arthouse-films.fr/distribution.html