Le siège de la compagnie pétrolière Sonatrach, cliente de SLC, à Alger, en 2016. / Ramzi Boudina/REUTERS

« Pendant deux semaines, mes 100 employés sont venus au travail et n’ont rien pu faire de toute la journée. J’ai perdu 50 % de mon chiffre d’affaires. » Ce responsable d’un centre d’appels est amer. Son fournisseur d’accès à Internet a fermé du jour au lendemain, conséquence d’un nouvel épisode dans le bouleversement politique que vit l’Algérie depuis le 22 février et le début des manifestations pour demander le départ d’Abdelaziz Bouteflika et un changement de régime politique.

La société en question, Smart Link Communication (SLC), créée en 2001 et spécialisée dans l’exploitation d’un réseau de télécommunications à haut débit sans fil et dans la voix sur Internet (VoIP), est dirigée par Lotfi Nezzar, fils du général Khaled Nezzar, ancien ministre de la défense et ancien chef d’état-major. Lotfi Nezzar et son père sont visés depuis mardi 6 août par un mandat d’arrêt international ; ils sont accusés de complot et d’atteinte à l’ordre public par la justice militaire algérienne.

« Une mesure éminemment politique »

Au départ, il y a un différend entre l’entreprise et l’Autorité de régulation de la poste et des communications électroniques (ARPCE), qui lui réclame près de 70 millions de dinars (environ 520 000 euros) de taxes impayées. SLC estime que la loi l’exonère de ces taxes et, début février, le ministère des finances lui donne raison. Pourtant, en mars, l’entreprise envoie un chèque de 38 millions de dinars. La menace va se réaliser trois semaines plus tard : l’autorité de régulation annonce qu’elle ne renouvellera pas les autorisations attribuées à SLC pour ses activités de service Internet.

Mi-juillet, le lien principal qui fournit à l’entreprise l’Internet qu’elle revend à ses clients est coupé. Fin juillet, SLC dénonce par communiqué « ce qui s’apparente à une mesure éminemment politique ». Le 31 juillet, l’ARPCE publie un communiqué niant toute implication politique, invoquant les taxes impayées et demandant aux clients de SLC de se manifester pour « assurer la continuité de leur activité » et « bénéficier d’une prestation de service qui répond à leurs besoins ». Les 300 employés de SLC perdent leur emploi, sans percevoir leurs derniers salaires puisque les comptes de l’entreprise sont gelés depuis le 3 juillet.

Mais l’impact va bien au-delà. SLC était l’entreprise qui assurait la connexion la plus stable et la plus puissante en Algérie. Dans son portefeuille d’un millier de clients, il y avait des ambassades, des institutions comme les douanes ou des ministères, des entreprises étrangères et les plus grandes entreprises nationales, comme la Sonatrach, la compagnie nationale d’hydrocarbures, première entreprise africaine, qui pèse 30 % du PIB algérien.

Elias est à la tête de la filiale d’un grand groupe international. Début août, il n’avait plus aucune connexion Internet. « Nous avons des contraintes strictes de sécurité informatique, je ne peux accéder à mon système de gestion qu’en passant par les serveurs de la maison-mère. Aujourd’hui, nous avons suspendu toutes nos livraisons et nous ne pouvons pas préparer notre clôture mensuelle pour les comptes de résultat, les impôts, les cotisations ou la TVA. »

« Nos clients étrangers ne comprennent pas »

Depuis la coupure de SLC, le seul autre opérateur privé, Icosnet, est débordé. Lui-même achetait de la bande passante à son concurrent et bénéficiait d’un réseau moins performant. Il a désormais moins de puissance et plus de clients. Ses lignes sont perturbées. Algérie Télecom, l’opérateur public, peut fournir un très haut débit grâce à la fibre optique, mais dans les lieux où il est possible de l’installer, il faut compter plusieurs semaines, voire plusieurs mois de délai.

« Du jour au lendemain, on coupe le réseau, sans solution de secours. Les décideurs ne se rendent pas compte à quel point Internet est devenu vital », regrette un expert du secteur. « En réalité, on nous laisse le choix entre une ligne qui a des perturbations et un service public, Algérie Télécom, dont le service client n’a pas la réactivité nécessaire en cas de souci, se désole le responsable du centre d’appels. Et ça, nos clients étrangers ne le comprennent pas. C’est inconcevable pour eux qu’une telle coupure arrive et qu’il y ait si peu de solutions de secours. La garantie de service est pourtant inscrite dans les contrats que l’on signe. »

Il affirme que certains de ses concurrents, sans solution Internet de secours, sont à l’arrêt depuis mi-juillet, forcés de mettre leurs employés en congé sans solde. Ce chef d’entreprise est inquiet : fin 2017, un autre opérateur privé d’Internet avait fermé du jour au lendemain. « A l’époque, on avait passé trois mois sans travailler. Qui me dit qu’ils ne vont pas fermer Icosnet dans un an ? »