De l’aventure, des secrets et un zeste de philosophie… La sélection du « Monde des livres »
De l’aventure, des secrets et un zeste de philosophie… La sélection du « Monde des livres »
Chaque jeudi dans La Matinale, la rédaction du « Monde des livres » choisit pour vous romans, nouvelles ou récits.
Cette semaine, « Le Monde des livres » vous recommande le nouveau thriller, très touffu, de Jonathan Franzen, un roman de voyages, hommage à l’écrivain britannique Edward Morgan Forster, et un ouvrage philosophique sur la densité littéraire.
ROMAN. « Purity », de Jonathan Franzen
Après ses romans à succès, Les Corrections et Freedom (L’Olivier, 2002, 2011), voici le nouveau livre – comme toujours très gros et très touffu – de l’Américain Jonathan Franzen. L’un des personnages principaux, Pip, est une jeune Américaine paumée et croulant sous les remboursements de son prêt étudiant. Pip vit dans un squat à Oakland (Californie), ignorant qui est son père et suffoquant dans le giron d’une mère ex-hippie hypocondriaque.
Un jour, déterminée à retrouver ses racines paternelles, Pip entre en contact avec le mystérieux Andreas Wolf. Ce hackeur originaire de l’ex-Allemagne de l’Est et réfugié en Bolivie est inspiré du personnage de Julian Assange. Il propose à Pip de « travailler » avec lui au sein de son organisation, le Sunlight Project, un équivalent fictionnel de WikiLeaks. Sa « mission » ? Révéler au monde les secrets des autres quand lui-même a toutes les peines du monde à dissimuler le sien…
Internet et le journalisme « à l’ancienne », l’effritement du monde politique face aux nouveaux médias, les pièges de la transparence absolue, les vertiges de la pureté morale, la corruption, le poids des mères dans l’éducation… : les sujets abondent, se croisent et se recroisent dans Purity. Mais le sujet des sujets, c’est le secret. Tout le monde ment chez Franzen. Pour cacher ses erreurs, ses fautes, ses turpitudes, ses crimes même. Chaque personnage tient l’autre. Ou le manipule. Un page turner efficace déjà en cours d’adaptation pour une série, avec Daniel Craig. Florence Noiville
Purity, de Jonathan Franzen, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis, L’Olivier, 752 p., 24,50 € (en librairie le 6 mai).
ROMAN. « L’Eté arctique », de Damon Galgut
« Une longue journée glaciale qui laisse le temps de faire des choses. » En 1910, c’est par ces mots que l’écrivain britannique Edward Morgan Forster (1879-1970) définit dans son journal l’été arctique, titre qu’il souhaite donner à un roman dont il imagine les grandes lignes. Est-ce un hasard si la fiction que lui consacre aujourd’hui le Sud-Africain Damon Galgut porte le nom de ce roman inachevé ? S’ouvrant en octobre 1912, alors que l’écrivain embarque pour les Indes, et se refermant en 1924, au moment de la publication de son chef-d’œuvre, Route des Indes (Plon, 1927), le livre embrasse les années au cours desquelles E. M. Forster ne publia aucun roman, mais voyagea et désira beaucoup écrire – sur l’amour surtout. A travers son approche très personnelle et sensible de la vie de E. M. Forster, Damon Galgut livre une passionnante réflexion sur l’Inde, l’Angleterre pendant la période coloniale, la création littéraire et les amours homosexuelles. Gladys Marivat
L’Eté arctique (Arctic Summer), de Damon Galgut, traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Hélène Papot, L’Olivier, 384 p., 22,50 €.
PHILOSOPHIE. « Trop dire ou trop peu. La densité littéraire », de Judith Schlanger
Reprendre de zéro la vieille question rhétorique, celle des moyens par lesquels un discours produit des effets sur ses auditeurs : tel est le problème, aussi simple qu’essentiel, que se pose ici Judith Schlanger, philosophe aussi audacieuse que discrète. Pour y répondre, elle opère une distinction entre deux manières de communiquer : en dire beaucoup ou en dire peu ; l’amplification ou la concision ; l’exhaustivité ou la pureté.
Les écrivains du désir n’ignorent pas une telle distinction, disposant à cette fin des plaisirs de l’exhibition sans limite (de l’Arétin à Sade) aussi bien que de la suggestion et du détour (comme chez Crébillon). De ce partage, Judith Schlanger tire quelques questions essentielles : le goût de la concision impose-t-il nécessairement d’être laconique ? Jusqu’à quel point peut-on condenser, au risque de tendre vers le pur et simple silence (l’existence d’« artistes sans œuvres » montre que la question n’est pas vaine) ? Ou même, que peut-on dire des œuvres qui ratent leur effet et ne nous touchent ni d’une manière ni de l’autre ? Jean-Louis Jeannelle
Trop dire ou trop peu. La densité littéraire, de Judith Schlanger, Hermann, 158 p., 22 €.