En Ethiopie, deux jours de deuil national après le massacre de 208 personnes
En Ethiopie, deux jours de deuil national après le massacre de 208 personnes
Par Vincent Defait (contributeur Le Monde Afrique, Addis-Abeba)
Des Sud-Soudanais de l’ethnie Murle ont franchi la frontière avec l’Ethiopie pour attaquer des villages habités par des Nuer. Une centaine d’enfants ont été enlevés.
A Addis-Abeba, des enfants portent le drapeau éthiopien cousu en pantalons. | ROBERTO SCHMIDT/AFP
Depuis mercredi 20 avril, les drapeaux sont en berne en Ethiopie. Ces deux jours de deuil national décidés par le Parlement font suite au massacre, vendredi, de 208 personnes et de l’enlèvement de 125 enfants, à Gambella, une région jouxtant le Soudan du Sud. Plus de 2 000 têtes de bétail ont aussi été volées, d’après Addis-Abeba. Du côté des assaillants : des Sud-Soudanais de l’ethnie Murle. Du côté des victimes : des Nuer, sans doute éthiopiens pour la plupart. Deux peuples traditionnellement agropastoraux, pour qui la frontière n’est qu’un trait sur une carte, et rarement en paix l’un avec l’autre. « Ces raids sur le bétail sont communs dans cette région, explique Hallelujah Lulie, de l’Institute for Security Studies (ISS). Mais, en Ethiopie, nous n’avons pas trace d’un nombre de victimes si élevé. C’est sans précédent. »
En réaction à cette attaque « massive », le premier ministre, Haile Mariam Dessalegn, a promis que « les forces de défense éthiopiennes sont en train de prendre des mesures contre les assaillants pour libérer les enfants sans condition ». Mercredi, Addis-Abeba annonçait que son armée cernait, au Soudan du Sud, une zone où seraient détenus les enfants.
Infinis désirs de représailles
Depuis une semaine, l’événement secoue le pays. Les médias nationaux ont rebaptisé la tuerie « le massacre de Gambella » et les maigres réseaux sociaux éthiopiens ne cessent de bruire d’indignation et de colère. Même la France, par la voix du Quai d’Orsay, a condamné des violences « inacceptables » et exprimé sa « solidarité au gouvernement et au peuple éthiopiens ». L’Union européenne lui a emboîté le pas en appelant « les autorités sud-soudanaises à assurer le retour immédiat des enfants enlevés à leur famille ».
Des deux côtés de la frontière, mais surtout au Soudan du Sud, Murle et Nuer ne s’épargnent rien dans un conflit trop vieux pour que les anciens se souviennent de ses débuts. Fin 2011, par exemple, dans l’Etat de Jonglei, limitrophe de l’Ethiopie, les Nuer s’étaient vengés d’un raid des Murle. Bilan : un millier de morts, autant d’enfants enlevés pour en faire de futurs combattants acquis à leur cause et d’infinis désirs de représailles transmis aux générations suivantes.
Ces affrontements se nourrissent de décennies de « vols de bétail et de l’instauration de la domination des (jeunes mâles) assaillants », mais aussi de la recherche de « richesses et de statut social au sein de leur propre groupe, de même que la vengeance d’attaques précédentes », analyse un rapport du Secure Livelihoods Research Consortium (SLRC), un programme de recherches qui bénéficie de fonds britanniques, irlandais et de la Commission européenne. La militarisation de la région par deux décennies de guerre entre le sud du Soudan – devenu en 2011 le Soudan du Sud – et le nord du Soudan, a rendu plus ténue la différence entre « raids “traditionnels” » et d’« autres types de conflits sociaux et politiques ». La guerre civile, déclenchée fin 2013, n’a rien arrangé.
Au point de valider la crainte d’Addis-Abeba : celle que le conflit sud-soudanais ne déborde du côté éthiopien de la frontière. « Avec la guerre civile, explique Hallelujah Lulie, ces groupes sud-soudanais sont plus armés qu’avant et l’Etat sud-soudanais étant moins présent dans l’est du pays, il est encore plus difficile d’empêcher ces raids. »
Enrailler les efforts de paix
D’innombrables promesses de cessation des hostilités, chaque fois violées, ont finalement abouti, en août 2015, à la signature d’un accord de paix entre le président Salva Kiir, soutenu par son ethnie Dinka, et l’ancien vice-président Riek Machar, derrière qui les Nuer se sont rangés. Ce dernier était censé rentrer à Juba, la capitale sud-soudanaise, lundi 18 avril pour… retrouver son poste au sein d’un gouvernement de transition, qui reste à former. Un retour chaque jour reporté.
Cette instabilité politique irrite l’Ethiopie, tout affairée à maintenir sa croissance économique au-delà des 10 % et déjà hôte de 270 000 réfugiés sud-soudanais. Surtout, le pays a fort à faire avec de nombreuses manifestations de défiance du pouvoir central dans plusieurs régions, ainsi qu’avec l’une des pires sécheresses depuis un demi-siècle.
Il faudra donc à son armée plus qu’une incursion en territoire voisin. L’est du Soudan du Sud, en effet, compte près de « deux douzaines de groupes armés », d’après l’International Crisis Group (ICG), ignorés des pourparlers entre le président Salva Kiir et le chef de la rébellion Riek Machar. « Beaucoup [de ces groupes] ne respectent pas le processus de paix, créant un environnement chaotique », poursuit le cercle de réflexion ICG. Pire, ces nombreux groupes armés restent des leviers sur lesquels les deux principaux protagonistes de la guerre civile sud-soudanaise peuvent s’appuyer pour enrailler les efforts de paix.