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La vie de bureau repose sur une position commune : la position « assis ». La vie de bureau est exclusivement diurne : elle bat son plein en « journée ». Elle peut donc, en conséquence, figurer un mouvement militant qui ne dit pas son nom : le mouvement « Journée assis ». Alors que l’on voit aujourd’hui fleurir un nombre important de réactions à propos de Nuit debout, on peut se demander pourquoi on n’entend pas parler de « Journée assis », qui regroupe pourtant des millions de personnes. C’est certes une lutte moins manifeste, mais non moins exigeante.

Transit intestinal en danger

Rester assis toute la journée est un combat. Un combat contre les permanentes injonctions du système à être « libre », « fluide », « sans attache », « nomade ». Parce qu’il oppose à cette idéologie son immobilisme et son caractère pétrifié, « Journée assis » est un véritable mouvement de résistance. Comme « Nuit debout », qui met à mal les organismes en les privant de sommeil, « Journée assis » détraque le bon fonctionnement du transit intestinal par la congestion qu’il impose aux organes. Logiquement, la période digestive post-repas de midi est donc celle qui est la plus difficile à négocier pour les « indignés » de l’open space. Un peu trop de morgon à table, un pichet d’eau qu’on a avalé intégralement parce qu’on a exagérément salé son escalope normande, quelques cafés surnuméraires, et c’est soudain l’envie d’aller aux toilettes qui vous assaille, avec pour perspective de rompre votre engagement en vous mettant debout. Heureusement, à peine ont-ils soulagé leurs besoins naturels, que les militants de « Journée assis » reprennent leur position de combat. Les plus radicaux mettent leur casque sur les oreilles pour se couper des bruits environnants et rentrent en eux-mêmes afin d’y conjurer tout désir de redressement, fut-il productif.

Topographie d’un simple fauteuil

Si l’on entend rarement parler d’eux, c’est sans doute parce que ce mouvement n’est pas réellement structuré. On ne lui connaît ni leader officiel ni revendication clairement identifiée, à part celle de pouvoir rester assis le plus longtemps possible tout en tenant des discours sur « la mise en mouvement des énergies ». Si « Journée assis » n’est pas à l’abri des contradictions, il milite pour une véritable alternative. Alors que certains élus de gauche ont reproché à Nuit debout de privatiser l’espace public, « Journée assis » propose au contraire de pousser le plus loin possible la logique de fantômatisation de la présence sociale, en la réduisant à la topographie d’un simple fauteuil.

Imaginer revivifier le débat citoyen paraît en effet bien illusoire lorsque l’on n’a pas encore réglé des problèmes de base tels que la qualité des sièges. En cuir ? A roulettes ? Avec ou sans accoudoir ? Fixe ou pivotant ? Les thèmes qui doivent être débattus au sein de « Journée assis » sont assez nombreux pour ne pas s’embarrasser, en plus, de verticalisation nocturne et de gesticulations avec les mains. Chez « Journée assis », les débats ont d’ailleurs l’avantage d’être le plus souvent silencieux car la conception de la démocratie y est elle aussi extrêmement figée : en règle générale, tout le monde est d’accord avec le chef.