Le Nigeria face à la baisse des cours du pétrole : les limites d’une politique monétaire
Le Nigeria face à la baisse des cours du pétrole : les limites d’une politique monétaire
Par Slim Dali
Pour l’économiste Slim Dali, le refus d’Abuja de dévaluer le naira et la confusion à la Banque centrale sont coûteux pour le pays, qui doit surtout lutter contre la pauvreté et développer le nord.
Pour l’économiste Slim Dali, de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), le refus d’Abuja de dévaluer le naira et la confusion qui semble régner à la Banque centrale sont coûteux pour le pays, qui doit surtout lutter contre la pauvreté et développer le nord.
Première économie du continent, le Nigeria connaît des difficultés macroéconomiques majeures depuis plusieurs mois. Celles-ci reflètent l’exposition du pays au secteur pétrolier, tant pour la collecte des recettes budgétaires (dont plus de 70 % est assurée par ce secteur) que pour la génération de devises (95 % des exportations de biens et services sont pétro-gazières).
Ainsi, la forte contraction des cours du pétrole (112 dollars le baril en juin 2014 contre 35 dollars en moyenne depuis le début de l’année 2016) se matérialise par des difficultés budgétaires et une déplétion des réserves de change.
Dans ce contexte, quelle est la politique macroéconomique menée par les autorités ? Est-elle soutenable et conciliable avec les enjeux de développement et de lutte contre la pauvreté ?
Ancrage du naira au dollar
La politique monétaire du Nigeria présente une multiplicité d’objectifs qui nuisent à sa lisibilité. Parmi ceux-ci, figurent le maintien de la stabilité des prix et du taux de change, et d’un niveau de réserves en devises suffisant. Eu égard à la prépondérance du secteur pétrolier dans l’économie du pays, la Banque centrale fait face à des cycles structurels de liquidités selon l’évolution du cours du pétrole.
De ces cycles peuvent émerger des tensions sur les prix et sur le taux de change, dont la réconciliation avec la gestion du niveau des devises peut être mise en conflit. Cette exposition à l’état du cycle pétrolier amplifie donc les risques de transferts de revenus budgétaires aux 36 entités fédérés que compte le pays. Enfin, le marché des changes est segmenté avec une fourniture des devises par la Banque Centrale et le marché informel. Voilà pour le contexte.
Qu’observe-t-on depuis un an ?
Face aux pressions croissantes sur les réserves en devises, conséquence de la contraction des cours du pétrole, l’autorité monétaire a remplacé son régime de change de « flottement administré » par un ancrage au dollar américain en mars 2015 (197 nairas pour un dollar). L’ancrage d’une monnaie locale à une monnaie étrangère contraint les banques centrales à défendre cette parité essentiellement en puisant dans leurs réserves en devises et en en restreignant l’accès.
C’est précisément ce qu’a fait la Banque centrale du Nigeria avec pour effet, une accélération du rythme de déplétion de ses réserves. Parallèlement, le cours du pétrole a poursuivi son orientation baissière, ce qui a exacerbé les tensions sur la liquidité en devises.
C’est alors qu’après l’élection du président Muhammadu Buhari, il est décidé en juin 2015 de restreindre l’accès aux devises via la Banque Centrale à l’importation de 41 produits spécifiques, dont des produits alimentaires (riz, margarine, huile…) et industriels (plastic, caoutchouc, métaux…).
L’objectif de ces restrictions est double pour les autorités nigérianes :
- infléchir la déplétion des réserves
- favoriser l’essor de la production industrielle locale dans le cadre de substitutions aux importations.
Malheureusement, cette politique a généré quatre effets négatifs.
Le premier est le report de la demande de devises des acteurs économiques, importateurs notamment, sur le marché parallèle. Le taux de change du naira vis-à-vis du dollar sur le marché informel s’est donc fortement déprécié pour afficher une décote de plus de 60 % par rapport au marché officiel.
Ce qui implique, deuxième effet négatif, que les entreprises importatrices répercutent mécaniquement le renchérissement du coût de la ressource en devises à l’économie réelle, avec pour conséquence une hausse de l’inflation (11,4 % en février 2016, liée à la hausse des prix sur les produits alimentaires importés).
Le troisième effet concerne l’impact négatif de la difficulté d’accéder à la devise sur les investissements productifs nationaux et étrangers, ce qui est en nuit à l’objectif des autorités de diversification de l’économie. Enfin, quatrième effet, cette politique génère des effets collatéraux non neutres sur les pays voisins (Produit Intérieur Brut du Nigeria plus de 3 fois supérieur à celui des 14 pays de la zone franc réunis).
En effet, des solutions de contournements sont trouvées par les agents économiques nigérians afin d’accéder à des devises étrangères. Pour ce faire, certains passent par le Bénin pour y échanger du naira contre de l’euro sur le marché parallèle local afin de pouvoir effectuer leur transaction avec l’étranger, ce qui ne manque pas de contribuer à tendre la liquidité en devises pour les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest.
En quête de devises
Au total, les réserves en devises se sont contractées à plus de 35 % par rapport au niveau observé en janvier 2014 (soit 27 milliards de dollars en avril 2016), et les conditions pour une diversification du secteur productif n’apparaissent pas favorables.
Quelles sont les mesures que peuvent prendre les autorités ? Elles apparaissent limitées. La principale serait de libéraliser le régime de change officiel et de lever les restrictions à l’accès aux devises. La défense de la politique monétaire du Nigeria et de change est très coûteuse pour le pays, qui a vu d’ailleurs son rythme de croissance de l’activité se réduire de moitié au cours de l’année écoulée.
Jusqu’à ce jour, les autorités refusent toute dévaluation, considérant qu’elle est inefficace et génératrice d’inflation. Et les prises de décisions de la Banque Centrale qui, après avoir baissé son taux directeur en novembre dernier de 200 points de base, l’a augmenté de 100 en mars, semblent confuses.
Parallèlement, les exemples historiques et récents, comme en Argentine, en Azerbaïdjan, en Indonésie, rappellent qu’une telle politique peut engendrer à terme une crise de liquidité, de solvabilité ou bancaire.
Le défi est donc important pour le Nigeria. Il s’ajoute à celui de réduire le taux de pauvreté et les disparités régionales. Reste à espérer que l’adoption récente de la politique contracyclique en faveur d’une hausse de l’investissement et de la lutte contre la pauvreté, ne va pas être mise à mal par les effets négatifs de la politique monétaire.
Slim Dali est analyste macroéconomie et Risque-pays de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), spécialiste de l’économie du Nigeria.