Les alternatives au bisphénol A sont-elles moins risquées pour la santé ?
Les alternatives au bisphénol A sont-elles moins risquées pour la santé ?
Par Stéphane Foucart
Des travaux scientifiques montrent que certains substituts présentent les mêmes effets négatifs sur le développement de l’appareil génital masculin.
Le bisphénol A a été interdit dans les biberons en 2011. | FRED DUFOUR / AFP
Remplacer le bisphénol A (BPA), mais par quoi ? L’affaire pourrait vite tourner au casse-tête toxicologique et industriel. Alors que depuis le 1er janvier le BPA n’est plus autorisé dans les contenants alimentaires en France, de nombreuses questions demeurent ouvertes sur les risques présentés par ses substituts. Et, en particulier, par les bisphénols versions « S » (BPS) et « F » (BPF). Des travaux français publiés dans la dernière édition de la revue Fertility & Sterility montrent que ces deux produits qui ont été, ou sont encore, utilisés en remplacement du BPA présentent les mêmes effets négatifs sur le développement de l’appareil génital masculin.
Les chercheurs, conduits par le biologiste René Habert, professeur à l’université Paris-7 et chercheur au laboratoire de développement des gonades (CEA, Inserm, université Paris-7) ont soumis des cultures de testicules de fœtus humains à des solutions de BPS et BPF, à des concentrations aussi faibles que 2 microgrammes par litre (µg/l). « Nous avons testé cette concentration car elle correspond à peu près à ce que l’on retrouve dans les urines, le sang ou le liquide amniotique d’une grande part de la population », explique René Habert. La même opération a été faite sur des testicules fœtaux de souris et de rats de laboratoire, prélevés sur les embryons à des stades de développement comparable.
Réduction de la production de testostérone
Le résultat est que sur le testicule humain, l’exposition au BPS ou au BPF, même à ces concentrations très faibles, réduit sensiblement la production de testostérone. Or la testostérone est impliquée dans la production des spermatozoïdes et a aussi pour fonction de « masculiniser » l’embryon, c’est-à-dire d’orchestrer la construction des organes génitaux masculins. « Ce résultat est à peu près exactement celui que nous avions observé en 2013 pour le BPA [dans une étude publiée en janvier 2013 par la revue PLoS One], avec le même dispositif expérimental », explique M. Habert.
Ces travaux avaient en outre montré que le testicule humain est environ 30 à 100 fois plus sensible que celui des rongeurs de laboratoire, rats et souris. « On retrouve ce même différentiel de sensibilité avec le BPS, puisqu’il faut jusqu’à 100 fois plus de BPS sur les rongeurs pour obtenir l’ampleur de l’effet sur l’homme », précise le chercheur. L’effet sur l’appareil génital masculin est l’une des sources d’inquiétude qui ont conduit à l’interdiction du BPA en France. De fait, la réduction de la production de testostérone pendant la vie fœtale est plausiblement en cause dans la baisse générale de la fertilité masculine ainsi que dans la recrudescence des cancers du testicule et de diverses malformations congénitales : cryptorchidie (testicules non descendus à la naissance), hypospadias (malformation du pénis), etc.
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Soupçon sur l’innocuité
Depuis 2011 et l’interdiction du BPA dans les biberons, certains industriels ont utilisé du BPS en remplacement : le bénéfice en termes de santé publique est donc discutable. « Aujourd’hui, puisqu’il n’est pas soumis à une quelconque réglementation, il est possible que le BPS soit utilisé comme substitut au BPA dans certains plastiques au contact des aliments », ajoute M. Habert. Dans son rapport de décembre 2014 sur la substitution du BPA, la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) note cependant que des alternatives a priori moins problématiques que le BPS ont été préférées par de nombreux fabricants de biberons. « Il est toutefois très difficile de le savoir, les industriels n’étant pas tenus d’indiquer la composition de leurs plastiques », souligne M. Habert. De même, le BPS est aujourd’hui utilisé dans certains papiers thermiques garantis « sans BPA ». D’autres indiquent plus clairement « sans bisphénols », excluant le recours au BPS ou au BPF.
L’étude française est une nouvelle pierre dans le jardin du BPS. Ces dernières semaines, une salve d’études expérimentales est venue jeter d’autres soupçons sur l’innocuité de ce substitut au BPA. Des travaux canadiens publiés le 12 janvier par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) montrent que ce perturbateur endocrinien a des effets délétères sur le développement du cerveau et le comportement du poisson-zèbre. Exactement comme le BPA…