On a testé… « Star Fox Zero », le space opera mélancolique
On a testé... « Star Fox Zero », le space opera mélancolique
Par William Audureau
Le nouveau jeu de tir spatial de la Wii U va à l’encontre de toutes les modes. Court, en ligne droite, dirigiste, il réveille le souvenir d’un art révolu du jeu vidéo.
Il s’ouvre sur un sacrifice, et se clôt sur une dédicace posthume. Pendant une demi-douzaine d’heures, Star Fox Zero, le jeu de tir spatial lancé jeudi 21 avril sur Wii U par Nintendo, navigue dans les eaux troubles du deuil, de l’oubli, de la nostalgie.
Contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, le « space opera » de la firme de Kyoto n’est pas un épisode préquel, se déroulant avant le premier Star Fox, mais la réinterprétation de Star Fox 64 (Lylat Wars chez nous), sorti en 1997. Soit l’histoire de Fox McCloud, intrépide renard de l’espace, lancé avec son escouade à l’assaut de l’infâme Andros, savant fou responsable de la disparition de son père.
Durant onze missions, Star Fox Zero convoque les souvenirs. Un à un. Corneria, la planète aquatique des débuts. Star Wolf, l’escouade rivale, agressive et opiniâtre. Le Landmaster, char d’assaut virevoltant…
Star Fox Zero – "Let's Rock & Roll" Trailer
Durée : 01:36
Shigeru Miyamoto, figure créative mythique de Nintendo, et qui n’avait plus été autant investi dans un projet depuis près de vingt ans, n’a jamais caché son ambition anachronique : offrir un jeu d’action comme on n’en voit plus.
A la mode des années 1990
Loin des couleurs chavirées, des mondes procéduraux et des sensations d’infini du très attendu No Man’s Sky, sur PlayStation 4, tout dans Star Fox Zero suinte la nostalgie d’un art du jeu vidéo révolu. Les ennemis ont de grandes pustules rouges qui représentent leurs points faibles ; les niveaux sont courts, leur superficie limitée, sans vaste monde ouvert dans lequel se perdre ou explorer ; et avec son robot poulet, ses escouades animalières et ses ennemis en forme d’araignées métalliques, l’univers verse dans une zoolâtrie qui avait disparu avec les années 1990.
Nintendo
Nintendo, si créatif et innovant dans les années 2000, campe ici sur un modèle créatif suranné. Jusqu’à l’esthétique du jeu – volontiers décriée pour sa supposée laideur, ses bancs de textures mornes et plates, son manque de détail. Et tant pis si Star Fox Zero jette peut-être la première pierre d’une renaissance du « low poly », ce style visuel propre à la moitié des années 1990, marqué par des univers polygonaux minimalistes et anguleux, dus aux limitations techniques.
Nintendo
Conçu sous cloche, à l’ancienne, le space opera de Nintendo n’en témoigne pas moins d’un savoir-faire qui résiste au temps et aux modes. Il se niche dans ce cadavre exquis de situations, ce rythme échevelé, cette variété intraitable, ce perpétuel sentiment d’inattendu. On y poursuit des missiles intergalactiques, on y sème des escouades, on y affronte des robots-gorilles géants. Star Fox Zero est un jeu dans l’espace qui se joue de la variété des espaces ; alterne les grandes embardées tout schuss, l’infiltration de recoins exigus et confinés, d’amples combats spatiaux au milieu des étoiles, d’exploration terrienne au petit train.
Star Wars à fourrure
Dans ses meilleurs moments, Star Fox Zero rappelle que Call of Duty n’a rien inventé. En 1997 déjà, Nintendo scénarisait ses missions, et donnait à vivre de l’intérieur une scène de bataille épique aux accents hollywoodiens – et cette réinterprétation contemporaine pousse encore un peu plus loin le sentiment d’être l’acteur d’un film de space opera. D’autant que l’inspiration de la saga Star Wars, en filigrane dans les premiers épisodes, n’a jamais été aussi revendiquée, avec ses traversées frénétiques de structures orbitales géantes, ses plongées dans les tranchées d’astres artificiels, ou tout simplement ses dogfights haletants, Fox McCloud n’a jamais autant semblé proche d’un Luke Skywalker à fourrure.
La principale innovation de Star Fox Zero repose d’ailleurs ici, dans l’obligation d’utiliser l’écran intégré de la manette Wii U pour la vue cockpit, et qui permet de vivre ces fusillades spatiales de l’intérieur – tandis que l’écran de la télévision, lui, diffuse les acrobaties du héros en vue externe. Le jeu de Nintendo, si conservateur sur tant d’aspects, tente ici une mise en scène quasi impossible, permettre au joueur de vivre l’aventure à la fois à la première et à la troisième personne.
Nintendo
Passer de l’un à l’autre permet d’alterner entre les avantages des deux vues – plus de précision pour l’une, un champ de vision plus large pour l’autre. Mais elle oblige aussi le joueur à une étrange gymnastique, d’autant plus suicidaire qu’en affichant deux fois la partie à chaque instant, le jeu sollicite durement les capacités de la Wii U, alors que le joueur ne peut jamais profiter que d’un écran à la fois.
Nintendo d’avant
A l’inverse, certains éléments constitutifs de l’expérience Star Fox ont disparu, comme la possibilité de définir son itinéraire de vol - et de choisir l’ordre des planètes visitées. Le jeu se parcourt sur l’unique mode que connaît la mémoire : en ligne droite, comme si tout était déjà écrit, déjà vécu, que les embranchements du possible avaient disparu, pour laisser place au récit applani du souvenir. En y connectant la figurine Amiibo de Fox McCloud, les graphismes basculent même pour ceux de 1993, année du tout premier épisode de la saga.
C’est un jeu de 2016 sur un jeu de 1997, une aventure qui voit le héros perpétuellement courir après l’ombre de son père, une quête qui s’achève, enfin par un hommage à « notre coéquipier qui est tombé au combat », Satoru Iwata, le président de Nintendo décédé en juillet 2015. Bref, un jeu sans âge, pétri de deuil et de nostalgie, figé dans le temps, qui répète et rejoue un passé idéalisé.
En plein âge d’or des superproductions déconseillées aux mineurs – Call of Duty, Assassin’s Creed, The Witcher… – Star Fox Zero est un jeu sur le Nintendo d’avant. Un jeu vidéo atemporel, qui s’est manifestement trompé d’époque. C’est ce qui le rend aberrant, et en même temps si précieux.
En bref
On a aimé
- Meilleur jeu Nintendo 64 de 2016
- Un jeu à l’ancienne, qui se contrefiche des modes
- Les nombreux moments de bravoure à la Star Wars
- Le rythme et la variété
On n’a pas aimé
- Le double écran, souvent contraignant
- La sensation de manque de maîtrise et de précision
- Un jeu qui innove peu
- Ne pas pouvoir jouer à plusieurs en escouade
- Quelques passages vraiment très laids
C’est plutôt pour vous si…
- Vous cherchez le successeur de Lylat Wars
- Vous aimez les jeux courts
- Et piloter des robots poulets intergalactiques
- Non mais sérieux, un poulet de l’espace !
- Vous voulez montrer à votre enfant à quoi ressemblait le jeu vidéo, avant
Ce n’est pas pour vous si…
- Vous ne tolérez pas les jeux qui se finissent vite
- Vous ne jurez que par le coopératif, les mondes ouverts et le réalisme
- Vous avez déjà du mal à gérer un écran, alors deux en même temps…
La note de Pixels
1997 sur 2016