Passe d’armes entre WikiLeaks et le Consortium international de journalistes
« Panama papers » : passe d’armes entre WikiLeaks et le Consortium international de journalistes
Par Damien Leloup
L’organisation de Julian Assange, WikiLeaks, reproche au collectif de journalistes de ne pas publier l’intégralité des documents.
Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, le 5 février 2016. | NIKLAS HALLE'N / AFP
Le compte Twitter de WikiLeaks a critiqué, mardi 5 avril dans la soirée, les premières révélations du Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ, dont le Monde est partenaire), l’accusant à demi-mot de servir les intérêts des Etats-Unis en s’attaquant à l’entourage de Vladimir Poutine.
#PanamaPapers Putin attack was produced by OCCRP which targets Russia & former USSR and was funded by USAID & Soros. https://t.co/tgeKfLuROn
— wikileaks (@WikiLeaks)
« L’attaque contre Poutine a été écrite par l’OCCRP, un organisme qui cible la Russie et les anciennes républiques soviétiques et qui est financé par l’USAID et George Soros », écrit WikiLeaks. Tout en reconnaissant que l’OCCRP (pour Organized Crime and Corruption Reporting Project – « Projet de reportage sur le crime organisé et la corruption ») « fait parfois du bon travail », WikiLeaks estime que « le fait que les Etats-Unis financent directement les attaques #panamapapers contre Poutine mine sa crédibilité ».
L’OCCRP est un consortium de journalistes internationaux, partenaire de l’ICIJ, qui publie des enquêtes sur la corruption, principalement dans les pays de l’Est mais aussi en Amérique latine. Parmi ses donateurs figurent effectivement l’USAID, l’agence américaine pour le développement, et le département d’Etat des Etats-Unis, ainsi que d’autres organes gouvernementaux – dont la Confédération helvétique. Ses soutiens comportent aussi des organisations non gouvernementales, dont l’Open Society Foundation financée par le milliardaire George Soros, et le think tank Google Ideas.
L’affirmation de WikiLeaks est donc factuellement exacte. Mais si elle a déclenché de nombreuses réactions, c’est parce qu’elle reprend l’argumentation du Kremlin et de ses soutiens, qui affirment que les révélations sur les sociétés offshore des proches de Vladimir Poutine étaient téléguidées par le gouvernement américain. L’argument a aussi été évoqué par une partie de la droite française admirative de Vladimir Poutine, dont Thierry Mariani, qui s’est félicité de voir WikiLeaks faire part des « mêmes réserves » que lui.
Tiens,visiblement @wikileaks partage les mêmes réserves que celles que j'avais formulées dès le début .. À méditer ! https://t.co/a1SctrsN9d
— ThierryMARIANI (@Thierry MARIANI ن)
Publier ou ne pas publier les documents
WikiLeaks, qui fêtait cette semaine les 6 ans de son premier scoop, la vidéo « collateral murder » qui montrait des soldats américains ouvrant le feu sur des civils depuis un hélicoptère, s’est montré réservé sur les publications issues des « Panama papers ». Et a vivement répondu aux critiques formulées par le directeur de l’ICIJ, Gerard Ryle, dans une interview à Wired. « Nous ne sommes pas WikiLeaks. Nous essayons de montrer qu’il est possible de faire du journalisme de manière responsable », avait-il dit. « L’ICIJ, financée par Soros et basée à Washington, a un problème avec WikiLeaks », a rétorqué le site cofondé par Julian Assange.
Le désaccord de fond entre les deux organisations porte, essentiellement, sur le fait de publier ou non l’intégralité des documents des « Panama Papers », pour laquelle milite WikiLeaks. L’ICIJ et ses partenaires ont fait le choix de ne pas les rendre publics, notamment en raison de leur nature complexe et des données personnelles qu’ils contiennent. L’ICIJ publiera cependant la liste de tous les noms des sociétés créées et ceux de leurs propriétaires - le plus souvent des prête-noms - fin mai. Une position qui avait déjà été celle de l’ICIJ et des médias partenaires de WikiLeaks lors des révélations dites du « Cablegate » sur les câbles diplomatiques américains.
Quand Wikileaks faisait des partenariats avec les médias
A l’époque du Cablegate, les cinq journaux partenaires (dont Le Monde) s’étaient mis d’accord avec WikiLeaks pour ne publier qu’une partie des télégrammes diplomatiques, en les expurgeant d’informations personnelles qui ne concernaient pas des responsables politiques ou économiques. Des mois plus tard, un fichier chiffré contenant l’intégralité des télégrammes avait été mis en ligne sur le site Cryptome – son mot de passe était quant à lui écrit dans un livre publié par deux journalistes du Guardian ayant travaillé sur l’affaire. Julian Assange avait alors accusé le Guardian d’avoir commis une grave faute, tandis que le quotidien britannique accusait WikiLeaks d’avoir permis que le dossier chiffré soit toujours en ligne.
WikiLeaks avait alors lancé un gigantesque sondage en ligne pour demander à ses lecteurs s’ils souhaitaient que l’intégralité des télégrammes soient sortis. Ils avaient très majoritairement répondu par l’affirmative, et le site avait mis en ligne l’ensemble des télégrammes et un moteur de recherche ; ce qui avait provoqué la colère des Etats-Unis, qui affirmaient que cette publication « mettait en danger » des Américains, ce que niait WikiLeaks.
Ce 3 avril, après la publication des premiers articles sur les « Panama papers », WikiLeaks a publié un sondage similaire, demandant à ses abonnés Twitter s’ils souhaitaient que l’organisation publie les 2,6 téraoctets de données.
Le sondage mis en ligne par WikiLeaks.
Quelques heures plus tard, WikiLeaks reconnaissait dans un nouveau message qu’en réalité il ne détenait pas les documents :
« WikiLeaks n’a pas dirigé l’opération sur les #PanamaPapers, donc la plupart des documents ne seront jamais publiés et vous n’aurez pas de moteur de recherche.
WikiLeaks didn't lead the #PanamaPapers so most docs will not be released and you won't get a searchable database https://t.co/cbeH7o2mHa
— wikileaks (@WikiLeaks)