AUREL

Comment l’éducation nationale a-t-elle pu laisser un enseignant condamné en 2006 pour pédophilie par un tribunal britannique continuer à enseigner, alors même qu’elle était au courant de cette condamnation ? C’est bien le mystère qu’a tenté de percer l’enquête administrative rendue publique vendredi 22 avril sur l’affaire de Villemoisson-sur-Orge – du nom de la commune de l’Essonne où enseignait, jusqu’à sa suspension il y a deux mois, le professeur de mathématiques mis en cause.

Sa conclusion : il n’y a eu, de la part de la commission disciplinaire de l’académie de Versailles chargée en 2007 de statuer sur une éventuelle sanction, ni laxisme, ni complaisance, ni volonté d’étouffer l’affaire. C’est plutôt une « erreur d’appréciation » qui l’a conduit à réintégrer l’enseignant dans son poste malgré sa condamnation, expliquent les inspecteurs généraux. Une erreur suffisamment « grave » aux yeux de la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, pour qu’elle considère que, « si l’affaire s’était déroulée aujourd’hui, la question du maintien en poste du recteur se poserait », a-t-elle déclaré dans une interview au journal Libération vendredi. Mais « la question ne se pose pas, ce dernier étant aujourd’hui à la retraite et n’occupant plus de fonction administrative », a-t-elle précisé.

L’affaire éclate en février, après que ce professeur du collège Blaise-Pascal de Villemoisson, âgé de 55 ans, a été interpellé pour agression sexuelle sur mineur de 15 ans. Le rectorat de Versailles suspend alors l’enseignant et découvre à cette occasion qu’il avait été condamné dix ans plus tôt par la justice britannique pour agression sexuelle sur mineurs et « voyeurisme ».

En 2006, il avait passé ses vacances d’été au Royaume-Uni où il était directeur de colonie. De retour en France après avoir purgé sa peine de quinze mois d’emprisonnement – assortis d’une interdiction de travailler avec des enfants –, une commission disciplinaire s’était réunie en mars 2007 pour tirer les conséquences de cette condamnation. Elle avait décidé à l’unanimité de ne pas le sanctionner. L’enseignant avait retrouvé son poste.

Un « dysfonctionnement insupportable »

Quand éclate ce nouveau scandale de pédophilie – un an après celui de Villefontaine (Isère) –, Najat Vallaud-Belkacem affiche la plus grande fermeté. Le 19 février, elle convoque en urgence une conférence de presse. Contrairement à l’affaire de Villefontaine, où son administration n’avait pas été informée par la justice de la condamnation de l’instituteur, dans celle de Villemoisson, l’éducation nationale était avertie. « Elle est donc responsable », avait déclaré la ministre, pointant un « dysfonctionnement insupportable ». « Cet aveuglement devant des faits si graves ne peut rester sans suite. »

Que s’est-il passé lors de cette commission ? D’après le rapport, les débats ont été « sérieux et le délibéré long, preuve que l’avis n’a certainement pas été rendu à la légère ». Reste que l’enseignant et son avocat ont réussi à instiller le doute dans l’esprit de ses 35 membres : l’enseignant a contesté les faits, soutenu que le procès en Angleterre avait été partial, qu’aucune expertise n’avait été réalisée pour vérifier la crédibilité du témoignage des enfants, que la traduction du jugement était inexacte, le délit de voyeurisme n’existant pas en France, qu’une psychothérapeute avait attesté, certificat à l’appui, qu’il ne présentait pas de signes de dangerosité au travail… Autant d’éléments qui ont amené la commission à considérer que « la matérialité des faits reprochés était sujette à caution » et que « le doute devait lui profiter ». D’une certaine manière, la commission a rejoué le procès.

Passé professionnel « sans ombre »

A sa décharge, le dossier de l’enseignant présentait des « fragilités », peut-on lire dans le rapport. Le rectorat de Versailles n’a pas pu accéder, malgré ses deux demandes successives, aux « éléments précis sur la situation judiciaire de l’intéressé au Royaume-Uni ». A l’époque, la justice française n’est pas en droit de se faire communiquer ces éléments, et une peine prononcée au Royaume-Uni n’est pas reconnue en France. C’est l’enseignant lui-même qui donne au rectorat son jugement rédigé en anglais ainsi que la nature des faits qui lui sont reprochés. Cela a pu jouer en sa faveur, souligne le rapport, tout comme son passé professionnel « sans ombre ».

Une telle affaire peut-elle se reproduire ? Le ministère veut faire la démonstration que non. D’abord, la législation a évolué en 2010 : dorénavant, les condamnations prononcées dans un Etat membre de l’Union européenne sont prises en compte par la France et inscrite au casier judiciaire.

Ensuite, « depuis l’affaire de Villefontaine, nous avons renforcé les garde-fous, assure-t-on dans l’entourage de la ministre. Les échanges d’information entre la justice et l’éducation nationale ont été améliorés, et nous publions vendredi une instruction de politique disciplinaire pour rappeler certains principes, notamment le fait qu’une commission ne peut méconnaître une décision de justice ». Enfin, tout dossier concernant une infraction de nature sexuelle sera dorénavant porté à la connaissance du ministère, qui se confère ainsi un droit de regard sur ces affaires.