Projet de loi El Khomri : la réforme en débats
Projet de loi El Khomri : la réforme en débats
Politiques, chercheurs et professionnels réagissent au projet de loi de la ministre du travail Myriam El Khomri
Présentation des grandes lignes du projet de la loi travail à Matignon, le 14 mars 2016. Manuel Valls et Myriam El Khomri ministre du travail. | Alain Guilhot/Divergence Images pour Le Monde
Le projet de réforme du code du travail a été présenté fin mars en conseil des ministres. Depuis sa présentation, le 18 février, par la ministre du travail, Myriam El Khomri, ce texte fait l’objet de très vives critiques, à gauche et chez les syndicats. « C’est un acte de confiance adressé aux chefs d’entreprises, aux salariés et à leurs représentants », a toutefois assuré, lundi 22 février, Manuel Valls, parlant d’accords « gagnant-gagnant pour les entreprises comme pour les salariés ». Elle doit être mise en débat public le 3 mai.
Le Monde a publié plusieurs tribunes, de personnalités politiques, chercheurs, économistes et professionnels, qui illustrent l’âpreté du débat :
– Stop au « licencier plus pour embaucher plus » de la loi travail, par Hervé Defalvard (économiste, université Paris-Est-Marne-la-Vallée). Il est temps de supprimer l’article 30 sur les motifs du licenciement économique, et avec lui la loi, pour passer à une toute autre philosophie économique.
– « La loi travail pourrait réduire le harcèlement et les discriminations », par Charles Dennery (normalien, doctorant à la London School of Economics and Political Science). Les tensions proviennent souvent du besoin de créer les conditions d’un départ – faute, démission ou transaction – impossible sinon. En cas de désaccords majeurs, il vaut mieux que le salarié parte dans le cadre d’un licenciement favorisé par la loi El Khomri, qu’attendre une démission, une dépression voire un suicide.
– « L’emploi et l’emploi durable passent par la négociation », par Henri Rouilleault (membre du groupe de travail Combrexelle, directeur général de l’Anact de 1991 à 2006). Il est tout à fait anormal que les syndicats aient découvert les 130 pages de la loi El Khomri en même temps que la presse, constate Henri Rouilleault, membre du groupe de travail Combrexelle, directeur général de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail de 1991 à 2006
– « Le projet de loi El Khomri modifie profondément le marché du travail sans améliorer l’emploi global », par Gérard Ballot, Jean-Daniel Kant et Olivier Goudet. La simulation des effets de la réforme à partir d’un modèle économétrique donne des résultats positifs pour les jeunes, mais globalement négatifs pour l’emploi, expliquent l’économiste de Paris-II et les informaticiens de Paris-VI.
– Pour un « syndicalisme réformiste » !, Même s’il est opposé à la « loi travail », par Jean-Claude Mailly, secrétaire général de la Confédération générale du travail-Force ouvrière. Force ouvrière défend le réformisme et plaide pour que le syndicalisme soit un maillon du progrès social. D’autres syndicats sont réformateurs - « réactionnaires » - et préfèrent jouer un rôle sociétal.
– Henri Weber : faisons le choix de la « flexisécurité » pour endiguer le chômage. L’ancien sénateur socialiste, directeur des études auprès du premier secrétaire du PS, défend la loi El Khomri, qui s’inspire, selon lui des social-démocraties nordiques.
– La loi El Khomri « atomise le syndicalisme », entretien avec Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales, propos recueillis par Anne Rodier. Le spécialiste de la représentation salariale analyse les conséquences du projet de loi El Khomri sur l’efficacité du dialogue social.
– Comme en Espagne, la « loi travail » est « vouée à l’échec », par un collectif d’économistes espagnols membres d’Economistas Frente a la Crisis mené par Josep Borrell, ancien ministre socialiste et président du Parlement européen (2004-2007). S’inspirer de la réforme espagnole du marché du travail est une erreur, selon ce collectif, qui en détaille les effets prétendument positifs sur l’emploi.
– « La France au travail n’est ni figée, ni sclérosée », par Fanny Barbier (Entreprise&Société). De nouvelles formes de travail indépendant se développent, un nouveau modèle se met peu à peu en place, loin des débats actuels. Qu’on le cautionne ou non, il est une réalité avec laquelle il faut composer, explique la spécialiste en RH.
– « Laissons place à une logique de discussion, de coopération, de négociation », par Grégoire Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs. La réforme El Khomri est anachronique à défaut d’être visionnaire, selon Grégoire Leclercq, qui explique qu’il faut se forger une certitude sur la manière dont on travaillera demain, en cohérence avec l’économie mondialisée dans laquelle nous agissons.
– « Le patronat entraîne salariés et chefs d’entreprise dans une spirale suicidaire », par Danièle Blondel, professeur émérite d’économie à l’université Paris-Dauphine. Lutter avec le sabre émoussé de la baisse du coût salarial contre la lourde artillerie des multinationales, c’est appliquer à la France une politique productiviste ringarde que les pays émergents ont d’ores et déjà invalidée, estime l’économiste.
– Pourquoi les économistes s’écharpent sur la loi El Khomri, par François Le Grand, professeur de finance à l’EM Lyon, et Nicolas Houy, chargé de recherche CNRS au Groupe d’analyse et de théorie économique (GATE, université Lumière-Lyon 2). Le même usage de la méthodologie mathématique sur des objets sociaux complexes comme l’emploi peut conduire à des conclusions opposées.
– « L’emploi et l’emploi durable passent par la négociation », par Henri Rouilleault, membre du groupe de travail Combrexelle, directeur général de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail de 1991 à 2006. Il est tout à fait anormal que les syndicats aient découvert les 130 pages de la loi El Khomri en même temps que la presse.
– « L’adaptation équilibrée du code du travail est possible », par Jean-Pierre Agaesse, directeur du travail. Le rapport du comité Badinter sur le code du travail pêche soit par excès soit par insuffisance. Il s’agit de redéfinir la hiérarchie des sources du droit du travail et de déterminer la place de la négociation collective.
– « L’entreprise se construit avec nos salariés », par François Perrin (Président d’Euklead, réseau national de conseil pour la fonction achats).Le projet de loi El Khomri ne constituera pas une opportunité de remettre en cause le dialogue social que nous avons instauré depuis la création de notre entreprise.
– La loi El Khomri oublie la réalité des « négociations dans les entreprises », par Thomas Breda, chercheur à l’Ecole d’économie de Paris. Seuls 10 % des établissements où la négociation est obligatoire signent des accords.
– « Oui à la réforme du code du travail ! », par Patrice Caillaux ex-directeur des ressources humaines. Si la réforme du code du travail est une nécessité, elle ne sera pas à elle seule créatrice d’emplois.
– « Le plafonnement des indemnités en cas de licenciement » est une nécessité, mais…, par Patrick Thiébart (Avocat associé du cabinet Jeantet) et Laurianne Hoo (Avocate du cabinet Jeantet). Il y a fort à parier que le gouvernement revoie les curseurs des plafonds d’indemnisation d’autant que ceux qui concernent les salariés ayant plus 10 ans récompensent mal leur loyauté.
– « Loin d’améliorer le sort de la jeunesse, la loi travail propose de faire porter les risques par les salariés », par Damien Sauze (Economiste, université de Bourgogne). Lorsqu’on dégrade la protection des mieux protégés c’est la protection de l’ensemble des salariés qui est abaissée, c’est la précarité des plus vulnérables qui est renforcée.
– « La “loi travail” ne réduira pas le chômage ». Si certains éléments de la loi El Khomri vont dans le bon sens, le texte est encore très loin du compte, affirme un collectif d’économistes, dont Thomas Piketty, Philippe Askenazy, Pierre-Cyrille Hautcoeur, Dominique Meda ou Emmanuel Saez. La baisse des coûts du licenciements ne fera pas gagner la bataille de l’emploi, comme le croient ceux qui défendent le projet de loi.
– « L’activité économique et son anticipation par les entreprises sont bien le moteur de la création d’emplois », par Thomas Coutrot, Jean-Marie Harribey, Michel Husson, Sabina Issehnane, Esther Jeffers, Pierre Khalfa, Christiane Marty, Dominique Plihon, Stéphanie Treillet, Sébastien Villemot. En réponse à une tribune publiée dans Le Monde, un collectif d’économistes membres d’Attac, de la Fondation Copernic et des Economistes Atterrés explique que le projet de loi El Khomri favorise l’affaiblissement du code du travail sur la base de l’inversion de la hiérarchie des normes pour subordonner encore davantage les salariés aux exigences financières.
– « Le plafonnement des indemnités en cas de licenciement » est une nécessité, mais…, par Patrick Thiébart (Avocat associé du cabinet Jeantet) et Laurianne Hoo (Avocate du cabinet Jeantet). Il y a fort à parier que le gouvernement revoie les curseurs des plafonds d’indemnisation d’autant que ceux qui concernent les salariés ayant plus 10 ans récompensent mal leur loyauté.
– Projet de loi El Khomri : « Oui aux accords signés directement avec les représentants des salariés », par Laurent Bataille, président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens. On ne doit pas décider au niveau le plus élevé ce qui peut être négocié avec une plus grande efficacité et de façon plus pertinente à un niveau plus proche des réalités du terrain.
– Une « loi travail » favorable aux jeunes ? Plusieurs syndicats, associations et collectifs appellent à une journée de mobilisation le 9 mars contre le projet de réforme du droit de travail. Mais qui en seraient les gagnants ou les perdants ?
– « Le projet de loi El Khomri représente une avancée pour les plus fragiles ». Pour un collectif d’universitaires, dont le prix Nobel d’économie Jean Tirole, Agnès Bénassy-Quéré, professeure à Paris School of Economics, Philippe Aghion, professeur au Collège de France ou Pierre Cahuc, professeur à l’Ecole polytechnique, la réforme va dans le bon sens en inversant la tendance massive du recours au CDD.
– Le projet El Khomri ne ferait « qu’aggraver la crise économique », par Cédric Durand (économiste à l’université Paris-XIII) et Razmig Keucheyan (sociologue à l’université Paris-IV). Tenter de restaurer la croissance en diminuant les coûts dans une situation de baisse des prix ne fait qu’aggraver les choses.
– Sous-emploi : la « structuration économique » meilleur remède que la « flexibilité exacerbée du travail », par Gérard Mardiné, secrétaire national de la fédération de la métallurgie CFE-CGC. Il faut retrouver le sens du long terme dans la stratégie et le fonctionnement des entreprises plutôt qu’imaginer des palliatifs qui ne compenseront jamais une désorganisation croissante.
– On ne change pas le marché de l’emploi par décret, par Daniel Cohen (économiste et membre du conseil de surveillance du Monde). Le problème n’est pas tant de réformer un code que de restaurer la confiance dans le projet de société pour lequel les réformes sont engagées.
– L’ex-conseiller de Myriam El Khomri explique pourquoi il claque la porte. « D’ordinaire, un conseiller ministériel, ça ferme sa gueule. » Pierre Jacquemain explique au « Monde » son départ du ministère du travail. Il explique qu’il a quitté le ministère pour s’opposer à la loi sur le travail qu’il qualifie de « texte droitier ».
– « Il faut que la gauche du réel et la gauche radicale cessent leur division », plaide François Rebsamen, prédécesseur de Mme El Khomri au ministère du travail et maire de Dijon, qui rappelle le bilan de quatre ans des gouvernements socialistes en matière de droit social.
– La loi El Khomri participe « à la bataille menée contre notre modèle social », proteste Anthony Gratacos, chef d’entreprise et citoyen de gauche, pour qui la réforme du code du travail renforcera la position dominante des grandes entreprises aux dépens des PME.
– Les dispositions du projet de loi El Khomri sont « généralement positives », assure Henri Rouilleault, ancien directeur de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), membre de la commission Combrexelle en 2015, qui met cependant en garde contre l’assouplissement des conditions du licenciement économique.
– Pour un code « de la personne au travail ». Pour Stéphane Marchand et Denis Terrien, dirigeants du laboratoire d’idées Entreprise & Progrès, le code du travail actuel, même réformé, ne tient pas compte de la diversité et de la créativité des formes d’activité et d’emploi.
– Unedic, « un bonus-malus sur les cotisations patronales » : douze professionnels et chercheurs spécialistes du marché du travail (dont Pierre Cahuc, Jean-Christophe Sciberras, Yannick L’Horty, Marc Ferracci…) proposent que les entreprises qui coûtent plus à l’Assurance-chômage, parce qu’elles recourent massivement aux CDD et à l’intérim, cotisent plus à l’Unédic, et inversement.
– « Donnons sa chance au projet El Khomri », par Thierry Baril, Bruno Mettling, Franck Mougin, François Nogué et Jean-Christophe Sciberras. Cinq DRH de grandes entreprises appellent à ne dénaturer ni l’esprit ni la portée de la réforme sur le travail, dont la présentation au conseil des ministres prévue le 9 mars a été reportée.
– « Une autre voie » pour le travail, par Eric Heyer (Directeur du département Analyse et Prévision de l’OFCE), Dominique Méda (Professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine) et Pascal Lokiec (Professeur de droit du travail à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Defense). Plutôt que l’antienne sur les « freins à l’embauche », c’est la recherche de la qualité des emplois qui doit guider les politiques.
La loi travail expliquée en patates
Durée : 05:39