« Un revenu universel, ce n’est pas une allocation ciblée distribuée seulement aux plus pauvres »
« Un revenu universel, ce n’est pas une allocation ciblée distribuée seulement aux plus pauvres »
Par Antoine Stéphany (Coordinateur formation au Mouvement français pour un revenu de base)
Un revenu universel, ce n’est pas une allocation ciblée distribuée seulement aux plus pauvres mais c’est un véritable droit destiné à tous, sans condition de ressource ni exigence de contrepartie, explique Antoine Stéphany, du Mouvement français pour un revenu de base.
"Plusieurs économistes se penchent depuis des années sur la question de son financement, dont les options sont multiples : réforme de l’impôt sur le revenu (en le rendant plus juste), taxation sur les transactions financières, fiscalité écologique, taxe sur le patrimoine." | MIGUEL MEDINA / AFP
Antoine Stéphany, Coordinateur formation au Mouvement français pour un revenu de base
C’est avec un vif intérêt que le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) accueille la décision du gouvernement de se pencher enfin sur la question du revenu universel (« La solidarité : une exigence républicaine », par Manuel Valls, le 19 avril sur Facebook).
Suite à la présentation du rapport du député Christophe Sirugue sur la réforme des minima sociaux (« Repenser les minima sociaux. Vers une couverture socle commune » et sa synthèse), le mouvement se réjouit que plusieurs des préconisations présentées par le MFRB aient été prises en compte. Automatisation et individualisation partielle du RSA (revenu de solidarité active), élargissement du RSA aux 18-25 ans couplé à un accompagnement des bénéficiaires, sont des mesures urgentes à prendre pour pallier de sérieuses carences du système actuel de redistribution. Ces mesures vont également dans le sens de l’instauration progressive d’un revenu de base, ce que notre mouvement défend.
Réagissant à la parution de ce rapport, vous avez déclaré : « Ce chantier que nous ouvrons, c’est bien celui du revenu universel : pas une allocation versée à tous, y compris à ceux qui disposent de revenus suffisants — cela serait coûteux, et n’aurait aucun sens — mais une allocation ciblée, versée à tous ceux qui en ont vraiment besoin. Depuis des années, ce sujet est évoqué, sans que jamais le travail ne soit mené à son terme. »
Chantier mal entamé
Malheureusement, ce chantier semble mal entamé si les termes du sujet ne sont pas bien posés.
Si certaines préconisations du MFRB ont effectivement été retenues par M. Sirugue, il ne soutient cependant pas l’instauration d’un revenu de base (ou revenu universel). Or, contrairement à ce que vous avez déclaré, ce chantier que vous souhaitez ouvrir, M. Valls, n’est pas celui d’un « revenu universel ». Un revenu universel, ce n’est pas une allocation ciblée distribuée seulement aux plus pauvres. Ce que nous prônons, c’est un véritable droit destiné à tous, sans condition de ressource ni exigence de contrepartie. Il prend la forme d’un revenu individuel et universel.
D’après vous, verser un revenu de base à tous, donc de manière universelle, n’aurait « pas de sens ». Au contraire, l’objectif d’un revenu universel est justement de pouvoir donner un sens aux choix de vie de chacun. Ce qui n’a pas de sens, pour reprendre votre formule, c’est de devoir perdre sa vie à la gagner, ce qui est malheureusement trop souvent le cas dans notre société.
Combien de personnes ne se reconnaissent pas ou plus dans leur emploi ? Combien de burn-out, de bore-out, etc. tandis qu’à l’opposé les chômeurs se trouvent stigmatisés et taxés d’assistés ? Combien de travailleurs pauvres également et combien de personnes qui vont voir leur emploi disparaître du fait de l’automatisation ? Il est grand temps de repenser le travail tel qu’on l’entend aujourd’hui et c’est ce qu’un véritable revenu de base émancipateur peut permettre.
Quantitative Easing for the People et euro-dividende
Selon vous, la mise en place d’un revenu de base serait coûteuse. Certes, tout changement implique un coût, mais comme l’indique Christophe Sirugue dans son rapport : « Il est des dépenses que la collectivité peut s’honorer d’assumer. » Or, les dépenses liées à l’instauration d’un revenu de base pourraient se faire de manière progressive.
L’automatisation du RSA proposée par M. Sirugue pourrait être par exemple une première étape à élargir à l’ensemble de la population, pour ensuite augmenter peu à peu le montant en trouvant d’autres sources de financement. Savez-vous ce qui est également coûteux ? L’exil fiscal, la révélation des « Panama papers » en témoignent.
Il est possible de financer un revenu de base, d’un montant supérieur au RSA, pour permettre à chacun d’avoir un choix réel sur sa vie. Si tant est qu’il existe une volonté politique forte… Plusieurs économistes se penchent depuis des années sur la question de son financement, dont les options sont multiples : réforme de l’impôt sur le revenu (en le rendant plus juste), taxation sur les transactions financières, fiscalité écologique, taxe sur le patrimoine. Même à l’échelle européenne, des options sont étudiées, notamment le Quantitative Easing for the People [distribution d’argent directement aux citoyens] ou l’euro-dividende.
M. Valls, aurez-vous l’ambition de lancer un chantier de fond, pas simplement réformateur mais porteur de sens, pour rendre notre société plus juste et moins inégalitaire, mais également pour faire face aux bouleversements que connaît notre société ? Nous vous invitons à lancer ce chantier essentiel autour d’un véritable revenu universel, attribué à tous, sans condition, de la naissance à la mort, et ne pas vous limiter à optimiser le système d’allocations sociales.