Après la chute de Dilma Rousseff, le nouveau gouvernement brésilien ne séduit pas
Après la chute de Dilma Rousseff, le nouveau gouvernement brésilien ne séduit pas
Par Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)
Censé apaiser un pays au bord de l’abîme économique, supposé réconcilier une nation déchirée entre les pro et anti « impeachment », le président par intérim, Michel Temer, a raté son entrée.
Le président brésilien par interim, Michel Temer, le 12 mai à Brasilia. | Eraldo Peres / AP
José Serra s’était à peine assis à son nouveau bureau de ministre des relations extérieures du Brésil, que le vétéran de la politique a dû se fendre d’un communiqué au ton ferme et définitif. L’un des poids lourds du gouvernement de Michel Temer, investi le 12 mai après l’ouverture d’une procédure de destitution contre la présidente Dilma Rousseff, dénonçait les déclarations « erronées » et les « préjugés sans fondement » envers le fonctionnement des institutions démocratiques brésiliennes.
M. Serra s’est raidi en écoutant les propos d’Ernesto Samper, secrétaire général de l’Union des nations sud américaines (Unasur) parlant au nom de neuf pays d’Amérique latine qui, la veille, avait fait part de ses « préoccupations et interrogations (…) sur la consolidation de l’Etat de droit au Brésil ». Une « interprétation absurde des libertés démocratiques », a réagi M. Serra membre du Parti de la sociale démocratie Brésilienne (PSDB, centre gauche). Le même jour, Cuba reprenait à son compte la rhétorique du Parti des travailleurs (PT, gauche) et de la présidente évoquant un « Golpe », un coup d’Etat.
Dilma Rousseff a été éloignée du pouvoir suite au vote des sénateurs dans la nuit du 11 au 12 mai. Elle vit désormais recluse dans la résidence présidentielle de Brasilia, pendant les 180 jours de son procès, menacée de perdre son mandat si elle est finalement jugée coupable de « crime de responsabilité » par le Sénat.
Remplacée par Michel Temer, son vice-président, la successeure de Luiz Inacio Lula da Silva est accusée d’acrobaties comptables ayant aidé à sa réélection en 2014. Ses « pédalages budgétaires », auraient camouflé la réalité des finances publiques brésiliennes et creusé dangereusement le déficit en 2015.
La légitimité du gouvernement remise en cause
Cet événement suscite l’émoi en Amérique latine. Le nouveau chef d’Etat argentin Maurico Macri, de centre droit, s’est dit préoccupé pour la stabilité politique du Brésil. Tandis que le président du Salvador refusait, samedi, de reconnaître la légitimité du président par intérim. Voix détonante dans la région, l’écrivain péruvien, Mario Vargas Llosa, candidat à la présidence de son pays en 1990 à la tête d’une coalition de centre droit, jugeait l’événement « positif pour la démocratie », saluant la déroute de gouvernements populistes en Amérique latine, dont celui de Mme Rousseff.
« Pour les observateurs étrangers, la légèreté avec laquelle la destitution du président de la République – une véritable bombe atomique dans un régime présidentialiste – est minimisée ne manque pas d’étonner. Si tous les dirigeants impopulaires ou jugés incompétents dans les démocraties modernes étaient destitués, peu finiraient le mandat qui leur a été attribué par le suffrage universel », souligne l’historienne Armelle Enders auteure de Nouvelle histoire du Brésil (éditions Chandeigne, 2008) dans un article publié sur le site The Conversation.
Dans un éditorial titré « Make Brazil political crisis worse » (« Empirant la crise politique au Brésil ») publié moins de 24 heures après l’ouverture du procès en destitution de Dilma Roussef, le New York Times estime lui aussi que la chef d’Etat brésilienne « paie un prix disproportionné » pour ses erreurs.
Censé apaiser un pays au bord de l’abîme économique, supposé réconcilier une nation déchirée entre les pro et anti impeachment, tenu à l’exemplarité suite aux scandales de corruption éclaboussant le monde politique, le président par intérim à la tête du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) a raté son entrée.
Avant même d’exister son gouvernement suscitait la polémique, Michel Temer ayant été tenté d’offrir le poste de ministre des sciences à un adepte du créationnisme.
Son équipe, composée exclusivement d’hommes, blancs et pour la plupart âgés, a choqué. « C’est presque incroyable que nous ayons ainsi reculé de trente ans », se désole l’écrivaine Rosiska Darcy de Oliveira, dans le quotidien Globo du 13 mai, rappelant qu’aucun gouvernement ne s’est passé de femmes depuis 1979, et que le gouvernement de Dilma en comptait quatorze, hors ministres intérimaires.
« Ce qui nous effraie c’est que Temer ait passé un mandat aux côtés de Dilma Rousseff et n’ait pas compris que [le fait d’avoir des femmes au gouvernement] était une conquête de la société », insiste Lucia Xavier, de l’Articulation des femmes noires brésiliennes, regroupement d’associations pour la défense des femmes noires au Brésil.
Rectifier le tir ?
Les milieux intellectuels et artistiques se sont eux étranglés en découvrant la fusion du ministère de la culture avec celui de l’éducation. « Un grand recul », pour l’association Procure Saber formée d’artistes tels le chanteur Gilberto Gil qui fut à la tête du ministère de la culture de 2003 à 2008 sous la présidence de Lula (PT).
Secoué, Michel Temer serait sur le point de rectifier le tir. Au cours du week end, il se disait que le secrétariat national à la culture resterait autonome, et le quotidien O Globo évoquait dimanche, qu’une femme pourrait hériter du portefeuille.
L’homme, resté dans l’ombre de Dilma Rousseff pendant plus d’un mandat, multiplie les faux pas. Se sachant sous l’œil des marchés financiers, Michel Temer a réduit drastiquement le nombre de ministères (23 contre 30 sous le second mandat de Dilma Rousseff). Mais l’initiative d’abord saluée essuie les sarcasmes. « Isso é para o Ingles ver », une simple apparence, a commenté l’ancien président Fernando Henrique Cardoso (1995-2003 ; PSDB) remarquant que la réduction des ministères est en réalité le fruit d’un simple changement de statut.
Plus préoccupant, la présence au sein du nouveau gouvernement de sept ministres cités ou faisant l’objet d’une investigation judiciaire. Un choix qui laisse perplexe : l’opération « Lava-Jato », qui a mis au jour le scandale de corruption lié au groupe pétrolier Petrobras, a provoqué la colère de la rue jetant le discrédit sur l’ensemble de la classe politique. Au-delà de la question éthique, « Temer invite la crise politique en nommant des personnes citées dans Lava Jato. Un facteur susceptible de provoquer une grande instabilité dans son gouvernement », remarque Marco Antonio Carvalho Teixeira, politologue de la fondation Getulio Vargas, à Sao Paulo.
« Le gouvernement porte l’empreinte de la continuité et du conservatisme : les ministres sont de vieux briscards qui (…) ont participé à tous les gouvernements précédents, quelle que soit leur couleur politique, de Fernando Henrique Cardoso à Dilma Rousseff, en passant par ceux de Lula », résume Mme Enders.