En Côte d’Ivoire, le chocolatier Cémoi, vitrine d’une filière cacao en pleine refonte
En Côte d’Ivoire, le chocolatier Cémoi, vitrine d’une filière cacao en pleine refonte
Par Morgane Le Cam (contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou)
Le numéro un français du chocolat, qui a ouvert son usine de transformation à Abidjan il y a un an, veut accroître ses exportations en Afrique de l’Ouest.
« Créatrice de valeur ajoutée » et « responsable », la chocolaterie française est présentée comme le bon élève d’une filière cacao dans laquelle les difficultés persistent.
Nichée au cœur de la zone industrielle de Yopougon, à Abidjan, une chocolaterie fait la fierté du gouvernement ivoirien : Cémoi. Il y a tout juste un an, le numéro un français du chocolat, présent en Côte d’Ivoire depuis 1996 avec son usine de produits semi-finis, décidait d’aller plus loin dans la transformation des fèves en inaugurant sa première chocolaterie dans le pays.
Dans un bâtiment ultra moderne de deux mille mètres carrés, le beurre et la masse de cacao voyagent de cuves en cuves jusqu’à être transformés en pâte à tartiner ou en tablettes de chocolat. L’opération peut paraître anodine, mais, au pays du premier producteur mondial de cacao, rares sont les usines qui vont jusqu’à faire de la fève une tablette.
Chocodi l’a expérimenté dès 1978 mais a depuis été mis en liquidation judiciaire. Reste Professionnel Food Industry (PFI), filiale du groupe Satoci installé depuis 2010 à quelques encablures de l’usine Cémoi. Si la Côte d’Ivoire produit presque la moitié du cacao mondial, seules 30 % de ses fèves sont transformées sur place.
Exportations en Afrique embryonnaires
Aussi le gouvernement ivoirien a-t-il décidé de concentrer ses efforts sur la transformation de son or brun. « Nous transformons aujourd’hui 550 000 tonnes de cacao sur 1,8 million de tonnes. L’objectif est que nous arrivions en 2020 à transformer au moins 50 % de la production de cacao », a précisé Jean-Claude Brou, ministre de l’industrie et des mines, lors d’une visite de la chocolaterie Cémoi organisée en avril à l’occasion de la venue du Mouvement des entreprises de France (Medef) à Abidjan.
Avec un seul concurrent sur le même secteur de la transformation en produits finis du cacao en Côte d’Ivoire, Cémoi bénéficie d’une situation de quasi-monopole. En 2015, le français, qui a broyé 70 000 tonnes de fèves a réalisé 31 % de son chiffre d’affaires dans le pays (soit 250 millions d’euros) et compte bien renforcer sa présence dans la sous-région.
« En 2015, 10 % de nos ventes ont été réalisées en Afrique de l’Ouest. Les exportations de chocolat dans la sous-région restent embryonnaires, mais le marché va continuer de croître », explique Benjamin Bessi, PDG de Cémoi Côte d’Ivoire.
Le président ivoirien Alassane Ouattara et le PDG de Cémoi Côte d’Ivoire, Benjamin Bessi, lors de l’inauguration de l’usine du chocolatier français à Abidjan, le 18 mai 2015. | AFP
Exporter des produits cacao prêts à consommer plutôt que des fèves : tel est l’objectif que s’est fixé la Côte d’Ivoire, notamment en mettant en place un programme d’exonérations fiscales pour les entreprises transformant localement le cacao. Cémoi, qui se présente comme le seul chocolatier au monde à être présent sur toute la chaîne de valorisation du cacao, sert de vitrine au gouvernement. L’objectif : montrer aux potentiels investisseurs que la filière du cacao ivoirien est de plus en plus intégrée et responsable.
En matière de responsabilité, Cémoi veut là encore faire figure de bon élève. En 2010, le chocolatier a initié un accord, depuis signé par deux autres entreprises familiales – Blommer et Petra Food – qui vise à améliorer la qualité du cacao produit en Côte d’Ivoire en adoptant une démarche de développement durable. En 2012, le groupe va plus loin en lançant le programme « Transparence Cacao ». Et s’engage ainsi à fournir une traçabilité totale au consommateur, depuis la plantation jusqu’au magasin.
Les rangs des bons élèves
Deux initiatives saluées par Abidjan. Car, depuis sa réforme de la filière du cacao amorcée en 2012, les autorités tentent de redorer l’image de ce secteur considéré comme opaque et peu profitable aux planteurs. En octobre 2015, elles ont ainsi fixé le prix « bord champ » du kilogramme de cacao à 1 000 francs CFA (1,5 euro), un record. La mesure prévoit des sanctions pour qui tentera d’acheter l’or brun à un prix inférieur.
« Le gouvernement agit et fait beaucoup d’efforts pour améliorer nos conditions de vie, mais ce n’est pas suffisant », regrette Michel Seuh, président du Syndicat autonome des producteurs agricoles de vivriers et maraîchers de Côte d’Ivoire (Sapavim CI).
Selon le ministère de l’agriculture, la taille d’une exploitation ivoirienne avoisine les quatre hectares. Le rendement moyen par hectare est quant à lui estimé autour de 500 kilos. Conformément à ces données, un planteur ivoirien récolte, en moyenne, 2 000 tonnes de cacao par an. De quoi lui assurer un revenu annuel de 2 000 000 francs CFA, soit à peine 3 000 euros. « Avec ça, les planteurs doivent aussi payer leurs quelques employés, leurs factures et nourrir leur famille. Ils ne s’en sortent pas, affirme Michel Seuh. Notre souhait, c’est que le prix “bord champ” soit fixé entre 1 500 francs CFA et 2 000 francs CFA [2,3 euros à 3 euros] ».
Selon le président de Sapavim CI, ce prix d’achat du cacao encore trop bas contraint les paysans à accepter le prix inférieur parfois proposé aux planteurs par quelques acheteurs peu regardants. « Il y en a moins qu’avant la réforme, mais les magouilles continuent. Certains acheteurs véreux se rendent dans les villages reculés et proposent d’acheter 600 ou 700 francs CFA le kilo de cacao. Comme le paysan est en difficulté, il accepte souvent », assure le syndicaliste.
Si les autorités ont déployé des agents sur le terrain afin de mettre fin à cette pratique illégale, Sapavim CI réclame davantage de mesures. « Le gouvernement doit régler ces difficultés », poursuit son président. Pour tenter de faire pression, le syndicat agricole planche sur l’organisation d’un colloque sur l’agriculture ivoirienne, « pour dire ce qui ne va pas » et « trouver des solutions » afin de responsabiliser encore davantage les acteurs du secteur et les inciter à rejoindre le rang des bons élèves.