Fort McMurray, une région pétrolière en crise frappée par les flammes
Fort McMurray, une région pétrolière en crise frappée par les flammes
Par Nicolas Bourcier
Le plus grand site mondial d’exploitation de sables bitumineux avait déjà vu, avec la chute des prix du pétrole, ses projets d’investissements se tarir et le nombre d’emplois diminuer.
Des files interminables de voitures fuyant les flammes dans la région de Fort McMurray, en Alberta, vendredi 6 mai. | Jason Franson / AP
Des files interminables de voitures fuyant les flammes, des dizaines de véhicules en panne sèche à l’abandon sur les bas-côtés de l’autoroute, des centaines d’habitants réfugiés dans des baraquements de fortune : près de 100 000 personnes ont quitté Fort McMurray et ses environs, l’évacuation la plus importante pour des incendies de l’histoire canadienne. Un drame humain et environnemental qui n’a pour l’heure pas fait de victimes, mais qui vient s’ajouter de façon tragique à une région déjà durement touchée socialement et économiquement par la chute vertigineuse des prix du pétrole.
Installé dans ce nord profond et ultraconservateur de l’Alberta, « Fort McMoney », comme on surnommait cette ville il n’y a pas si longtemps tant sa croissance paraissait sans limite, s’était mise à tourner au ralenti ces derniers mois, malgré la baisse continue des coûts d’exploitation. A 30 ou 40 dollars le baril, le plus grand site mondial d’exploitation de pétrole, avec ses sols gorgés de sables bitumineux évalués à 170 milliards de barils (3e réserve de la planète de ce mélange de bitume, de sable et d’argile), a vu ses projets d’investissements se tarir.
Production des pétroliers revue à la baisse
Depuis les derniers mois de 2015, le temps paraissait bien fini où les travailleurs affluaient de toutes parts, attirés par les promesses de ruée vers l’or de ce « Klondike » du XXIe siècle. Oubliées les semaines où l’ouvrier qualifié était payé 4 000 dollars (environ 3 500 euros) la semaine douze-heures-par-jour-sept-jours-sur-sept, primes comprises. Terminés aussi les petits boulots au McDonald’s local à 20 dollars l’heure, le double du salaire habituel.
Avec le tiers de ses logements vacants avant son évacuation, Fort McMurray connaissait le plus fort taux d’inoccupation du pays. Les hôtels étaient à moitié vides. Et les ambitions de production des groupes pétroliers revues à la baisse : un peu plus de 4 millions de barils par jour étaient attendus en 2030, soit 2 millions de barils de moins que les projections faites en 2014. Avant les départs des feux, les dépenses en capital de l’industrie du pétrole et du gaz avaient l’objectif d’atteindre 31 milliards de dollars cette année, soit une baisse de 62 %, par rapport au record de 81 milliards comptabilisé en 2014.
Aucun calcul ou nouvelle projection n’a été fait depuis les incendies. Près de 20 % de la production vient d’être arrêtée. Un chiffre provisoire tant le manque de main-d’œuvre va se faire sentir dans les jours à venir.
Des incendies autour de Gregoire Lake, près de Fort McMurray, en Alberta, jeudi 5 mai. | CHRIS WATTIE / REUTERS
35 000 emplois perdus en un an
En un an, le secteur avait déjà perdu plus de 35 000 emplois dans la région. Le triple, si l’on y ajoute les intermédiaires et les sociétés liées à l’industrie pétrolière. Pour les groupes pétroliers, cette crise tombait d’autant plus mal que le nouveau gouvernement libéral de Justin Trudeau projetait de plafonner les aides publiques à la production des sables bitumineux et de limiter leur empreinte carbone. L’exact contre-pied des années Stephen Harper, l’ancien premier ministre conservateur, élu de l’Alberta et considéré comme l’« allié indéfectible des pétrolières », écrivait en juin 2015 le quotidien Le Devoir, quatre mois avant sa défaite.
Le veto de Barack Obama, en décembre 2015, au projet controversé d’extension du pipeline XL, destiné à acheminer le pétrole bitumineux canadien aux raffineries texanes, avait un peu plus plongé le secteur dans le doute. « La période est difficile, admettait Greg Stringham, vice-président de la réputée très conservatrice Association des producteurs de pétrole canadiens dans un entretien au Monde réalisé en janvier. Nous devons réduire les coûts et développer de nouvelles technologies environnementales si nous voulons continuer à prospérer, soit une combinaison de facteurs qui rendent ces prochaines années très volatiles. »
Près de 25 % de l’économie canadienne est liée à l’industrie pétrolière. Avant les feux, il en coûtait entre 40 et 65 dollars pour produire un baril de pétrole dans ces sables bitumineux. Rien ne dit si ces coûts seront maintenus une fois la situation maîtrisée sur le front des incendies.