Sadek et Gérard Depardieu dans le film français de Rachid Djaïdani, « Tour de France ». | MARS FILMS

Quinzaine des réalisateurs

Gérard Depardieu est devenu un monument qui se visite. C’est ce que fait, au début de Tour de France, le jeune rappeur Far’Hook (interprété par le jeune rappeur Sadek), qui se rend dans le Nord de la France pour admirer cet être hors du commun. Dans cette fiction, le deuxième long-métrage de Rachid Djaïdani après Rengaine présenté, déjà, à la Quinzaine des réalisateurs en 2012, Gérard Depardieu s’appelle Serge. C’est un entrepreneur privé de permis de conduire, et aussi le père de Bilal, le manager de Far’Hook. Mais c’est toujours, et dans ce film, plus que jamais, Gérard Depardieu, et c’est l’énergie que dégage cette masse en perpétuel mouvement qui sauve le film des pièges que lui a tendus son réalisateur et scénariste.

Far’Hook doit quitter Paris à la suite d’une embrouille avec un rival en hip-hop, et Bilal lui confie la mission de conduire son père sur les routes de France, de port en port. Cet homme grossier et désagréable, qui vit dans un coron post-apocalyptique, a promis à son épouse agonisante de reproduire sur toile et à l’huile les vues des ports français commandées par Louis XV à Joseph Vernet.

De Dieppe à Marseille, les deux hommes vont passer par toutes les étapes réglementaires du film de route pour deux antagonistes

De Dieppe à Marseille, de l’hostilité radicale à la complicité, les deux hommes vont passer par toutes les étapes réglementaires du film de route pour deux antagonistes (voir, entre autres, New York-Miami (1934), de Frank Capra, ou La Chèvre (1981), de Francis Veber). Ce qui importe ici n’est pas le mécanisme, mais ce qu’il met en mouvement. Rachid Djaïdani a réussi – de justesse – à faire échapper Far’Hook et Serge au statut d’emblème de leurs générations respectives.

Tempête magnétique

Il arrive au rappeur de se lancer dans des tirades sur la citoyenneté, et l’étrange façon que la France a de la conférer seulement partiellement à certains des détenteurs de ses passeports. Quant à Serge-Gérard, il brame le sentiment d’abandon de la population ouvrière (avant d’être entrepreneur, il a été syndicaliste, apprendra-t-on) en des termes que ne renierait pas un éditorialiste en mal d’inspiration.

Le cinéma français ne dépense pas tant d’énergie que ça à poser ces questions, et la gaucherie avec laquelle elles sont amenées dans Tour de France n’enlève rien à leur validité. D’autant que duo Sadek-Depardieu génère une espèce de tempête magnétique qui rend épique les épisodes les plus prévisibles – l’interpellation du jeune homme dans une rue de Bayonne, l’inévitable romance (avec une militante alternative) ou les formations accélérées en hip-hop ou peinture portuaire que ses membres s’infligent l’un l’autre.

Le jeune musicien assume crânement la position de la chèvre de Monsieur Seguin face au loup Depardieu

Le jeune musicien assume crânement la position de la chèvre de Monsieur Seguin face au loup Depardieu, rendant coup pour coup jusqu’à la dernière séquence. Mais si ses répliques et ses mimiques font mouche sur les spectateurs, c’est qu’elles ont entre-temps rebondi sur Depardieu, rageur, moqueur, insouciant de toute respectabilité.

Plus difficiles à avaler, les facilités de la mise en scène qui emprunte un peu trop souvent le truchement du téléphone portable du jeune homme, et – encore plus – celles du scénario. Le dernier acte du film, qui veut nouer tous les fils en une apothéose finale, met surtout en évidence les faiblesses de ce qui a précédé. Au moins aura-t-on vu Depardieu partir en free style, pour une fois au sens originel de l’expression.

Film français de Rachid Djaïdani avec Gérard Depardieu, Sadek, Louise Grinberg (1 h 35). Sur le Web : www.marsdistribution.com/film/tour_de_france et www.quinzaine-realisateurs.com/qz_film/tour-de-france