A Cannes, les sections parallèles tiennent leur rang
A Cannes, les sections parallèles tiennent leur rang
Par Thomas Sotinel
La Quinzaine des réalisateurs et la Semaine de la critique affichent un bilan plus mitigé qu’en 2015.
En 2015, la Quinzaine des réalisateurs avait accueilli des films que leurs producteurs et auteurs destinaient à la compétition de la sélection officielle, qui n’en avait pas voulu, comme Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin, ou L’Ombre des femmes, de Philippe Garrel. Tout au long de la saison des trophées, d’autres longs-métrages présentés par la section parallèle fondée en 1969, comme Mustang, de Deniz Gamze Ergüven, ou Fatima, de Philippe Faucon, ont collectionné les récompenses, éclipsant la plupart des films de la compétition.
Ce bouleversement de la hiérarchie des sections cannoises n’était pas inédit. En 2012, c’était la Semaine de la critique qui attirait tous les regards, avec La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli, et Take Shelter, de Jeff Nichols. Comme ses prédécesseurs, il a été éphémère. Les éditions 2016 de la Quinzaine des réalisateurs et de la Semaine de la critique ont tenu leurs rangs respectifs, mais n’en sont pas sorties.
Sans doute la lutte pour les films a été très vive cette année. Edouard Waintrop, le délégué général de la Quinzaine, avait offert à Ma Loute, de Bruno Dumont, d’ouvrir l’édition 2016. Il n’a pas caché son admiration pour Hell or High Water, le néowestern du Britannique David MacKenzie. L’un était en compétition, l’autre à Un certain regard, section de la sélection officielle. Sur les 18 longs-métrages de la Quinzaine, un seul, le très ample et singulier Neruda, du Chilien Pablo Larrain, aurait fait un candidat naturel à la Palme d’or.
Vénérables auteurs
Mais il n’y a pas que la Palme dans la vie d’un film, et Edouard Waintrop a enchaîné les gestes classiques du sélectionneur, invitant de vénérables auteurs (Marco Bellocchio, Alejandro Jodorowsky, Paul Schrader), accompagnant des réalisateurs découverts ou déjà venus à la Quinzaine (Rachid Djaïdani, Joachim Lafosse, l’Indien Anurag Kashyap), pariant sur des nouveaux talents – quatre films de la Quinzaine concouraient pour la Caméra d’or, qui récompense le meilleur premier film du festival, toutes sections confondues.
Mis à part Jodorowsky, qui poursuit avec Poesia Sin Fin son autobiographie onirique, nourrie de surréalisme et de souvenirs du Chili, les vétérans ont plutôt déçu, chacun à la mesure de son talent. Si Fais de beaux rêves, de Marco Bellocchio, reste un beau film, malgré ses faiblesses romanesques, Dog Eat Dog, de Paul Schrader, film noir hystérique et sanguinolent qui offre à Nicolas Cage et Willem Dafoe l’occasion d’un concours de cabotinage, donnait l’impression de voir son grand-père s’élancer sur la piste lors d’un concours de hip-hop.
Quelques beaux moments de cette Quinzaine ont surgi des nombreux films qui mettaient en scène des enfants ou des jeunes gens en danger. Les petits pensionnaires du foyer de Ma vie de courgette, le film d’animation du Suisse Claude Barras, les bergers afghans battus par leurs parents pour avoir laissé leurs moutons aux loups dans Wolf and Sheep, de Shahrbanoo Sadat, ou le jeune rugbyman wallisien qui doit se frayer un chemin en métropole de Mercenaire, de Sacha Wolff. Il a été plus difficile de trembler aux tribulations de la détenue de Fiore, de Claudio Giovannesi, malgré le talent évident de son interprète principale, Daphne Scoccia, immédiatement rebaptisée « Kristen Stewart italienne » pour sa beauté et la rareté de ses sourires. Quant aux aventures arctiques des amants de Two Lovers and a Bear, du Canadien Kim Nguyen, son tournage dans le Grand Nord fut probablement plus passionnant que ne l’a été la projection. Côté français, deux films « de banlieue » ont suscité la sympathie, mais pas tout à fait l’enthousiasme. Divines, premier film d’Houda Benyamina porté par de jeunes interprètes étonnantes, déborde d’énergie, mais se défait à force d’outrances scénaristiques, pendant que Tour de France, de Rachid Djaïdani, ne tient pas les promesses de ses premières étapes.
Didda Jonsdottir, qui joue dans « L’Effet aquatique », à Cannes, le 17 mai 2016. | STEPHAN VANFLETEREN POUR "LE MONDE"
Les sommets de la Quinzaine 2016 se situent en dehors de ces catégories. On a déjà évoqué Neruda. Les Vies de Thérèse, la brève (52 minutes) chronique des derniers jours de Thérèse Clerc, militante féministe, filmés par Sébastien Lifshitz, a émerveillé par sa douce intensité. Le film-testament de Solveig Anspach, L’Effet aquatique, a bouleversé alors que le film devrait seulement ravir. Cette comédie gracieuse et profonde, qui met en œuvre l’histoire (celle de la France communiste) et la géographie (on est comme d’habitude entre Seine-Saint-Denis et Islande), l’amour et le mensonge, est la meilleure de son auteure. C’est aussi la dernière.
Promesses à réaliser
Les sept premiers ou deuxièmes longs-métrages sélectionnés par Charles Tesson pour la compétition de la Semaine de la critique allaient du film « gore » (Grave, de la Française Julia Ducournau), à la rêverie expérimentale (Mimosas, du Catalan Oliver Laxe, lauréat du Grand Prix). L’autre lauréat de ce bref palmarès, Albüm, du Turc Mehmet Can Mertoglu (prix du jury), est une comédie d’une aigreur qui risque de la rendre indigeste à beaucoup.
La Semaine de la critique a fêté sa 55e édition en mai 2016. | SEMAINE DE LA CRITIQUE
Se tenant à l’écart des Etats-Unis, la programmation de la Semaine n’a présenté que peu de films aboutis, au rang desquels on peut compter Diamond Island, du Franco-Cambodgien Davy Chou, ou Tramontane, du Libanais Vatche Boulghourjian, film nomade porté par un beau personnage de jeune aveugle en quête de son passé.
Les promesses des autres films restent à réaliser. Si Julia Ducournau fait preuve dans Grave d’une complicité impressionnante avec sa jeune interprète Garance Marillier (qui joue une étudiante se sentant devenir cannibale), elle perd la maîtrise de son film au gré de la surenchère horrifique. Quant à Mimosas, autre film de route, tourné au Maroc, qui passe du XXIe siècle à un Moyen Age onirique, il est d’une beauté à couper le souffle, mais les interprètes non professionnels sont dirigés avec une maestria qui tourne à vide, tant le réalisateur semble soucieux de se tenir à l’écart des formes du récit.