« Au lieu de parler des vrais enjeux du Brexit, les politiques tiennent des discours quasi-hystériques »
« Au lieu de parler des vrais enjeux du Brexit, les politiques tiennent des discours quasi-hystériques »
Dans « God save the Brexit ? », Stephen Clarke raconte les tiraillements d’un électeur qui réalise que le débat est plus complexe que ce que les partisans de chaque camp clament.
L’auteur de « God save the Brexit ? », Stephen Clarke, revient sur les faux arguments et les vraies angoisses qui entourent le débat sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Stephen Clarke est un écrivain britannique qui vit à Paris. Partant du constat que la campagne pour ou contre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne échoue à donner les clés nécessaires aux électeurs pour qu’ils fassent un choix éclairé, il a choisi de montrer comment l’UE fonctionne depuis Bruxelles. Son roman, God save the Brexit ? raconte, avec humour, les tiraillements d’un électeur qui réalise que le débat est plus complexe que ce que les partisans de chaque camp affirment.
A titre personnel, Stephen Clarke — qui vit en France depuis plus de 15 ans et n’a donc pas le droit de voter jeudi — s’est toujours gardé d’émettre un avis sur le Brexit, mais il note que les arguments avancés par ceux favorables à une sortie du Royaume-Uni de l’UE sont les plus “grotesques”.
Il a répondu aux questions des lecteurs du Monde lors de notre journée spéciale #BrexitOrNot.
Lou : Bonjour, le Royaume-Uni semblait relativement épargné par la vague xénophobe qui déferle sur l’Europe. Ce référendum n’a-t-il pas ouvert la boîte de pandore de la parole xénophobe au Royaume-Uni, éclipsant les véritables enjeux européens d’un possible Brexit ?
Stephen Clarke : Oui, les Britanniques ne parlent pas du tout des vrais sujets autour de l’Europe. Ceux qui veulent quitter l’Europe ne parlent que de l’immigration, ignorant tous les enjeux économiques. C’est très ironique vu que David Cameron a lancé le référendum avec l’idée d’écraser cette tendance xénophobe chez les conservateurs. Il lui a juste donné une voix publique dans tous les journaux depuis 6 mois.
Manivane : Bonjour, je suis d’accord que la question du Brexit est bien plus complexe qu’elle n’en a l’air. Mais comment expliquez-vous que, dans tous les médias, on développe sans arrêt les points négatifs qu’engendrerait le Brexit, les conséquences pour la population, en oubliant de s’intéresser aux arguments de la population pro-Brexit ?
Depuis l’époque de Margaret Thatcher, qui était assez xénophobe, les journaux britanniques se sont fait un grand plaisir à faire du « Brussels Bashing », inventant des histoires du genre « L’Europe veut obliger les camionneurs anglais à manger du Muesli » – et c’est une histoire vraie. Les Anglais gobent tout ça. Les journalistes britanniques sont très inventifs et ont un brin d’humour. Donc ces fausses rumeurs marchent à chaque fois. C’est ce que je voulais examiner dans mon roman God Save Le Brexit ?.
Blaise59 : Si le Royaume-Uni sortait de l’Europe, paierait-on moins cher les produits que l’on achète là-bas ?
Oui, le cours de la livre sterling va chuter dramatiquement le lendemain du référendum s’il y a Brexit. Donc il faudrait aller à Londres faire du shopping ce week-end. Mais connaissant les Britanniques, la livre va remonter assez vite après. Donc il faudra se presser.
Elisa : N’était-ce pas un peu « suicidaire » de la part de David Cameron de lancer cette idée de référendum ?
Ce n’était pas suicidaire. Il voulait plutôt provoquer un accident. C’est comme de sortir en moto sur l’autoroute politique sans casque et en roulant à contresens. Il est en train de démolir son propre parti. S’il y avait des élections, demain, il perdrait sûrement son siège (de moto).
Justine : J’habite à Londres et tout le monde semble pro- « remain ». Comment expliquer les résultats des sondages qui donnent 53 % pro-Brexit ?
Vous avez peut-être des amis avec un œil tourné vers l’international. Si vous allez par exemple dans des quartiers ouvriers à Londres, vous entendrez beaucoup de voix contre l’Europe. La classe moyenne britannique et presque tous ceux qui font du business international veulent rester. Je soupçonne donc que vous vivez à South Kensington, le ghetto français le plus chic du monde…
Yo : Bonjour, ne trouvez-vous pas que la presse prend trop position en faveur du non au Brexit ? Depuis plusieurs jours, tous les médias relaient massivement l’idée qu’une sortie de l’UE provoquerait un crack boursier, que les Français vivant en Grande-Bretagne devraient la quitter et transférer leurs activités économiques ailleurs dans l’Union européenne, qu’ils sont tous en train de demander la nationalité pour éviter les demandes de visa.
Que je sache, il existe des accords bilatéraux avec la Grande-Bretagne, et ce n’est pas parce que le vote serait favorable à une sortie de l’UE que, du jour au lendemain, la population devrait demander un visa pour traverser la Manche. Si l’UE veut appliquer des mesures restrictives vis-à-vis de la Grande-Bretagne en ce qui concerne l’économie et les visas, alors c’est une décision de l’UE et non une conséquence du vote de vendredi.
La presse britannique prend toujours une position forte, il n’y a quasiment pas de neutralité politique en Grande Bretagne. Et puisque les gens lisent d’habitude toujours le même journal, les journaux ont intérêt à persister dans leurs avis. La surprise vient quand par exemple un journal comme le Mail On Sunday, traditionnellement anti-Europe, prend soudainement position pour le Bremain. Mais ça c’était l’effet du choc du meurtre de Jo Cox.
Alexandre : Bonjour M. Clarke, une déclaration de la reine d’ici jeudi soir est-elle entièrement à exclure ?
La reine n’a pas le droit de s’exprimer sur une question si politique. Ses discours politiques sont toujours écrits par le gouvernement qui siège. Mais le journal The Sun a presque menacé la reine en disant qu’il faut qu’elle garde le silence. De toute façon la reine n’a pas besoin de passeport et n’a pas de problème pour traverser les frontières donc je ne sais pas si cette question la touche vraiment.
Vince : Pensez-vous, comme Alex Adkins, que cette idée de Brexit est « une honte » et est tout à fait inutile ? Après tout, ce référendum bouleverserait-il vraiment l’économie britannique ? Les Britanniques savent très bien se passer de l’Europe (ou du moins ne pas montrer que le Royaume-Uni est euro-dépendant).
C’est plutôt certains aspects de la campagne du Brexit qui sont une honte. Au lieu de parler des vrais enjeux, les politiques sont partis dans des discours quasi-hystériques, brandissant d’un côté la menace d’une guerre mondiale si l’on sort de l’Europe, et de l’autre côté celle d’une invasion si l’on reste.
Laurent : En cas de choix pour le out, est-ce qu’il n’y a pas un risque de dislocation du Royaume-Uni, en particulier en ce qui concerne l’Ecosse qui pourrait préférer l’Union européenne au Royaume-Uni ?
En tout cas les Ecossais n’attendent que ça pour sortir du Royaume-Uni, et les Gallois ont trouvé un nouveau sens à leur indépendance en nous battant au foot. Il faut voir comment font les Irlandais du Nord à l’Euro pour savoir s’il y aura encore un Royaume-Uni après ce tournoi.
Mais plus sérieusement, les extrémités du Royaume-Uni bénéficient d’énormes subventions de l’UE, et s’il y a un Brexit ils se doutent bien que Londres ne va pas redistribuer l’argent en leur faveur, donc il ont intérêt à essayer de rester dans l’UE. Ce sera de nouveau les Celtes contre les Saxons.
Julie : A votre avis, pourquoi les Français s’intéressent-ils autant à ce qui se passe en Grande-Bretagne ?
Les Français s’intéressent toujours à ce qu’il se passe en Grande-Bretagne, et ils ont raison car nous faisons de la très bonne musique, de très bons livres et d’excellents biscuits. C’est normal de s’intéresser à ce que fait notre voisin, surtout quand, depuis des siècles, il semble faire exactement le contraire de ce que l’on fait chez soi.
Je pense que les Français sont fascinés par le fait que les Anglais soient si différents d’eux, et la réciproque est vraie. Nous ne comprenons pas comment toute une nation peut s’asseoir à table le soir pour dîner au lieu de juste prendre un plateau devant la télé.
Cathy : Les Anglais ont-ils oublié Churchill ?
Non. David Cameron voulait bien faire un peu le Churchill, les brexiters utilisent beaucoup le drapeau britannique pour rappeler l’époque de Churchill. Mais oui, ils ont oublié ses paroles après la guerre qui disaient clairement qu’il fallait une Europe unie pour garantir la paix. Ça oui, les Anglais l’ont oublié. Churchill, lui, était très content de voir les Français, les Polonais, les Hollandais ou les Tchèques venir à Londres pour soutenir la Grande-Bretagne pendant la guerre.
Hello : Au-delà du choc, le meurtre de Jo Cox aura-t-il selon vous une influence sur les votes ?
On dirait que oui, le meurtre de Jo Cox va sans doute pousser certaines personnes à aller voter, un peu en sa mémoire. D’autres disent que ce meurtre montre que l’hystérie xénophobe du côté du leave devenait trop forte, et ils abandonnent le camp du Brexit. C’est triste pour elle mais elle va peut-être sauver l’Union européenne.
JP : Le gouvernement est-il obligé de suivre le résultat du référendum ?
Merci, j’aime les questions courtes. En fait, on ne sait pas puisque la sortie de l’UE implique une très longue négociation qui peut durer entre deux et dix ans. Certains dans la campagne du Brexit disent même qu’ils vont juste utiliser ce vote pour renégocier encore une fois les termes de l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’Europe. En fait, un vote pour le Brexit n’implique pas forcément le Brexit. C’est symptomatique de l’énorme confusion autour de ce référendum.
Christophe : N’est-il pas surprenant de voir le pragmatisme anglo-saxon céder le pas à la démagogie ? Car, d’un point de vue pratique, on voit mal l’intérêt de la Grande-Bretagne à quitter l’Union européenne – ne serait-ce que pour le marché unique et la City. Mais il semble que le débat n’aborde que peu ces points…
Ce pragmatisme est en fait une bonne vieille légende. Même Churchill était connu pour pleurer à des moments critiques. D’ailleurs quand la princesse Diana est morte, il y a eu pendant plusieurs mois une pénurie nationale de Kleenex. La tendance hystérique est très forte depuis toujours dans notre presse, et ce n’est pas une coïncidence que l’on ait inventé le hooliganisme. On peut être très émotifs à des moments surprenants. D’ailleurs, ce qui excite beaucoup les gens du Brexit, c’est la fausse idée comme quoi Bruxelles veut interdire les chips au bacon fumé (pour plus de détails sur cette histoire vraie, voir mon livre « God Save Le Brexit ? »).
TOM : Une partie de l’avenir de l’Europe ne se joue-t-elle pas sur la défiance des citoyens envers le monde politique et non sur le projet européen ?
Le référendum sur le Brexit n’est pas forcément un référendum sur le Brexit. C’est aussi une façon d’énerver David Cameron. Et il y a plein de gens en Grande-Bretagne qui aiment faire ça, y compris dans son propre parti. En ce moment, en France aussi, des élections sont souvent une façon de donner une claque à la classe politique. Par ailleurs, quand je suis allé à Bruxelles pour la recherche de mon roman, j’ai demandé aux politiques de Bruxelles pourquoi ils n’essayent pas d’être plus ouverts envers le public, au lieu de rester comme une caste fermée, et un des grands problèmes avec l’UE c’est que les gens de Bruxelles sont déconnectés de la réalité. Ils le savent et certains veulent changer la situation, mais d’autres aiment trop leurs privilèges pour changer quoi que ce soit.
GeAbitbol : Du point de vue français, ce référendum est le deuxième que nous suivons après celui portant sur l’indépendance de l’Ecosse. Ma question est la suivante : l’organisation de référendum divise-t-il fondamentalement la population ? Si oui, le Brexit est-il une solution en soi ?
Je soupçonne les Britanniques de vouloir monter une agence d’organisation de référendums et de répondre à des appels d’offre de l’Europe pour organiser les leurs, mais je ne recommande pas aux autres d’embaucher les Britanniques puisque je ne sais pas si on focalise bien les gens sur les vraies questions : est-ce que la Grande-Bretagne veut bien accepter de faire partie d’une grande équipe européenne qui défend sa place dans l’économie mondiale ? Est-ce que la Grande-Bretagne veut bien accueillir, comme elle le fait depuis la deuxième Guerre Mondiale, des immigrés qui participent à son économie ? Est-ce qu’on accepte l’autorité de Bruxelles sur certains aspects de notre vie commune avec nos voisins européens ? Et enfin : Est-ce que l’on veut, finalement, avoir une chance de gagner l’Euro ?
A.C. : Y a-t-il au final, un véritable intérêt économique au Brexit, du point de vue du Royaume-Uni, ou s’agit-il exclusivement d’un regain de nationalisme, ou, comme vous l’avez dit, de nostalgie à l’égard de l’Empire britannique ?
Vous avez très bien répondu à votre propre question, je trouve. Ce qui me donne le temps de prendre un café, merci. Merci aussi à tous les Français à Londres qui apprennent aux Anglais à faire du bon café.
Yatfrog : Quel est votre pronostic pour le vote, étant donné que la plupart des votants n’ont aucune idée du changement politique ou économique qui se produirait si le Brexit l’emporte ?
En réalité, sans vouloir être trop arrogant, dans n’importe quelle élection, beaucoup de votants ne connaissent pas les vrais enjeux et ne savent pas ce que leur vote peut donner. Ceci est en partie lié au fait que tous les politiciens disent n’importe quoi pour se faire élire, mais aussi à des raisons évidentes. Le commun des mortels n’a pas le temps de comprendre tous les enjeux. Avec l’Europe, il faut dire que certains médias n’ont pas aidé en faisant une campagne de pure propagande, avec de faux chiffres, et des arguments pour faire peur aux votants dans un sens ou dans l’autre. Impossible de dire quel sera le résultat, puisque les sondages sont trop serrés. Le grand nombre des indécis va peut-être décider du résultat.