Cannes 2016 : Nicolas Winding Refn explore le cinéma de genre
Durée : 03:35

Sélection officielle – en compétition

The Neon Demon, de Nicolas Winding Refn (Drive, 2011, Only God Forgives, 2013), est certainement l’un des objets les plus problématiques présenté à ce jour en compétition, accueilli comme tel en salle de presse, par une salve de huées que tempéraient les acclamations ferventes de quelques inconditionnels. En effet, cette nouvelle livraison du cinéaste danois se révèle tiraillée entre l’extrême sophistication, l’extrême ciselure de son esthétique, et le fait que celle-ci n’ait rien d’autre à exprimer que l’ivresse de sa propre maîtrise.

Refn, formé à l’école d’une cinéphilie compulsive, a commencé sa carrière dans la filiation d’un cinéma de genre dur à cuire, qu’il a progressivement enrobé dans les termes d’un formalisme chaque fois plus poussé. The Neon Demon, qui ne raconte rien d’autre qu’une forme de dévoration par l’image, atteint de fait le stade terminal du maniérisme. Et ce à travers l’histoire de Jesse (Elle Fanning), une jeune fille arrivant à Los Angeles pour percer dans le mannequinat. Quelque chose en elle d’encore innocent, et pourtant d’absolument déterminé, attire bientôt le regard de grands photographes et attise la rivalité de ses consœurs.

Rutilance et mauvais goût

Mais exposer le scénario de cette manière ne rend pas vraiment compte d’une expérience qui s’appuie moins sur le déroulement d’un récit, que sur un régime d’intense suspension, chaque scène, chaque plan, tendant vers une forme d’immobilisme, vers un temps presque gelé, qui fonctionne comme une extase permanente de l’image. Car le film se fonde avant tout sur les états convulsifs de celle-ci : contrastes violents, clignotements stroboscopiques, textures chromées, couleurs saturées, phosphorescences artificielles, netteté clinique, visibilité exacerbée, démultiplication des reflets et des miroitements, fétichisation des corps comme des accessoires.

Refn réinvestit l’esthétique publicitaire, comme pour en révéler le fonds maladif, morbide et putrescent

Ce qu’on reconnaît là, c’est bien sûr l’esthétique publicitaire, l’imagerie glacée des clips et autres photographies de mode, que Refn réinvestit, comme pour en révéler le fonds maladif, morbide et putrescent. L’ascension de Jesse (qu’on découvre lors d’un shooting maculée de faux sang) s’apparente donc à une dangereuse traversée du miroir, la jeune fille se laissant absorber corps et âme dans cet enchevêtrement de surfaces sans fond qu’on appelle l’imagerie – quelque part entre Mulholland Drive, de David Lynch, Body Double, de Brian De Palma, et Eve, de Joseph L. Mankiewicz.

Elle Faning dans le film danois, américain et français de Nicolas Winding Refn, « The Neon Demon ». | THE JOKERS/LE PACTE/KOCH MEDIA

Programme intéressant, si le film n’était lui-même victime de cette imagerie, qu’il reproduit, comme pour la pousser à bout. Dès lors, difficile de ne pas reconnaître qu’il en endosse en même temps la laideur, la vulgarité, la froideur, la rutilance et le mauvais goût, dans lesquels il finit par patauger allégrement. Mais le plus gênant, c’est encore cette démonstration de force à laquelle se prête Refn, fantasme de virtuosité particulièrement étouffant, dont chacun de ses plans, contrôlé jusque dans ses moindres détails, se fait le relais. Un circuit fermé qui explique, quelque part, la fascination du film pour la nécrophilie et l’anthropophagie.

Tout ceci pourrait n’être qu’une grande coquille vide et rutilante, s’il n’était porté par la présence troublante d’Elle Fanning qui, depuis ses prestations dans Twixt, de Francis Ford Coppola, et Super 8, de J. J. Abrams, apparaît comme un parfait petit ange du bizarre, doublé ici d’une vierge écarlate. Ses lentes déambulations dans des espaces aussi inquiétants qu’abstraits, glissent comme la marque d’un fard sur les lèvres d’un cadavre refroidi.

The Neon Demon - Bande-annonce VOSTFR
Durée : 01:39

Film danois, américain et français de Nicolas Winding Refn avec Elle Fanning, Jena Malone, Abbey Lee, Christina Hendricks, Keanu Reeves (1 h 57). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/the-neon-demon, theneondemon.com et fr-fr.facebook.com/theneondemonfilm