Comment l’ultra russe expulsé a-t-il pu réapparaître dans un stade deux jours plus tard ?
Comment l’ultra russe expulsé a-t-il pu réapparaître dans un stade deux jours plus tard ?
Par Lucie Soullier
Alexandre Chpryguine, reconduit à la frontière samedi et interpellé en plein stade lundi à Toulouse, devrait être « très probablement expulsé » mardi.
Expulsé du territoire français samedi 18 juin, de retour dans les gradins deux jours plus tard. Narguant le dispositif de sécurité, l’ultra russe Alexandre Chpryguine a pu entrer dans l’enceinte du stade toulousain où se déroulait la rencontre Russie-Pays de Galles, lundi 20 juin, alors qu’il avait été reconduit à la frontière.
Les risques de hooliganisme avaient poussé les autorités à reclasser le match au niveau 3 sur 4, appelant 600 policiers et gendarmes à venir prêter main-forte aux 1 500 déjà mobilisés lors des précédents. Et pour cause, 150 ultras, « essentiellement russes », selon la préfecture, étaient attendus pour assister au dernier match de poule de leur équipe.
Alexandre Chpryguine, lui, n’aura pas vu son équipe se faire humilier par son adversaire du jour. Une photographie provocatrice postée sur les réseaux sociaux où il apparaît devant le stade lui vaut d’être repéré et interpellé pendant le match.
Снова здравствуй #EURO2016 #ВпередРоссия #ВОБ #ноукриминалити #путькпобеде ⚽️?? https://t.co/ZHh9VGhmuE
— Shprygin (@Александр Шпрыгин)
« Interpellé dans le stade, Alexandre Chpryguine a été placé en garde à vue et sa situation va faire l’objet soit d’un traitement administratif, soit d’une procédure judiciaire », déclarait lundi soir Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l’intérieur.
Selon des sources policières, il devrait être « très probablement expulsé » mardi. Encore. Cette fois, il n’a plus vraiment de raison de revenir : lanterne rouge du groupe B, l’équipe russe est éliminée de l’Euro et prendra peut-être le même avion que ses fans.
Mais comment a-t-il pu se retrouver dans le stade ?
Qui est Alexandre Chpryguine ?
Ultranationaliste, ce supporteur inconditionnel du Dynamo Moscou a été identifié comme « l’une des figures de proue dans l’introduction des théories et pratiques néonazies sur la scène des supporteurs russes depuis le début des années 1990 », rapporte le Guardian. Lui refuse d’être qualifié de sympathisant nazi et se qualifie de « patriote ».
Quid donc de cette photographie, en 2001, sur laquelle il effectue le salut nazi aux côtés d’un musicien du groupe de heavy metal russe Korrosiya Metalla, dont certaines chansons sont interdites en Russie pour « incitation à la haine ethnique » ?
Справа от давалки - Александр Шпрыгин @Shprygin, который заведует Объединением болельщиков. Выдворяемый из Франции https://t.co/IUiHZ7FvgU
— avtoxton (@Сводки головкружения)
« Une vieille photo », prise il y a dix ans, répond-il au Daily Mail, ajoutant qu’il n’y a de toute façon « rien d’effrayant » dans le cliché.
« Ce n’est pas un salut nazi car un salut nazi, c’est quand votre bras est tendu en face de vous et là, il est vers le haut. »
S’il a tenté de redorer son image depuis qu’il a pris la présidence de l’Union des supporteurs de football de Russie, de récents commentaires sur sa préférence pour une équipe russe aux « visages slaves » ou encore une équipe de France avec « vraiment beaucoup » de noirs ne manquent pas de rappeler ses positions extrêmes.
Aujourd’hui âgé de 38 ans, Alexandre Chpryguine est l’attaché parlementaire du député Igor Lebedev, membre du Parti libéral-démocrate de Russie (extrême droite), lequel a affirmé, le 13 juin sur les réseaux sociaux, qu’il ne voyait « rien de terrible dans les bagarres de supporteurs. Au contraire, nos gars ont bien fait. »
Des liens avec le pouvoir qui ne s’arrêtent pas là. En tant que président de l’Union des supporteurs russes, Alexandre Chpryguine a en effet pris part à plusieurs réunions de préparation en vue de la prochaine Coupe du monde, qui se tiendra en 2018 en Russie. La BBC raconte ainsi que lors de l’une d’entre elles, en janvier 2012 à Moscou, le président Vladimir Poutine l’interpelle en le surnommant « Sasha », suggérant « un certain degré de familiarité » entre eux, souligne le média anglais.
Pourquoi a-t-il été expulsé une première fois ?
Les CRS ont donné la charge #Marseille #EURO2016 https://t.co/WQqmxqammX
— LaProvenceEuro (@La Provence à l'Euro)
Le 11 juin à Marseille, de violents affrontements ont opposé Russes et Anglais en marge du match. Trois jours plus tard, les gendarmes français menaient une opération de contrôle à Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes) dans un bus devant transporter des supporteurs russes de Marseille à Lille, où se déroulait, le même jour, la rencontre Russie-Slovaquie : 43 d’entre eux ont alors été arrêtés. Onze seront relâchés dans la nuit, trois condamnés à des peines d’un à deux ans de prison ferme et vingt visés par des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière au motif de « trouble à l’ordre public ».
Parmi ces derniers, Alexandre Chpryguine raconte en direct sur Twitter toutes les phases de son expulsion, du « panier à salade » à l’avion qui doit le ramener dans sa « mère Russie », en passant par la vie (et les matchs de football) dans le centre de rétention.
Good bye France! https://t.co/JfGUlzJKnr
— Shprygin (@Александр Шпрыгин)
Comment est-il revenu ?
Tout juste atterri à Moscou, Alexandre Chpryguine évoque sa volonté de revenir en France avant la fin du tournoi. Un souhait qu’il ne tarde pas à mettre à exécution, tout à fait légalement. « J’ai seulement été expulsé, mon visa Schengen n’a pas été annulé, tous les tampons sont là. Je peux légalement me trouver en Union européenne », explique-t-il par téléphone à l’Agence France Presse, avant d’être interpellé lundi soir.
Lui assure avoir « fait le chemin à travers les Alpes », via la Suisse, mais selon une source policière, il est en réalité vraisemblablement arrivé par avion lundi matin à Barcelone, en Espagne, avant de rallier Toulouse par la route. Le ministère français de l’intérieur n’a révoqué son visa et délivré une interdiction administrative de territoire que plus tard dans la journée, alors qu’il avait déjà posé un pied dans l’espace Schengen.
Quant à son entrée dans le stade toulousain le soir même, rien de plus simple : il avait un billet. Les filtrages à l’entrée n’y auront rien fait.