Dernières lignes de défense au procès Neyret
Dernières lignes de défense au procès Neyret
Par Richard Schittly (Lyon, correspondant)
Les avocats de l’ex-superflic lyonnais, et des huit prévenus jugés à ses côtés, ont tenté de minimiser les rôles de leurs clients, allant même dans certains cas jusqu’à plaider la relaxe.
Michel Neyret, à l’ouverture de son procès à Paris, le 2 mai 2016. | FRANÇOIS MORI / AP
A la dernière audience consacrée aux plaidoiries de la défense, mardi 24 mai, chacun a cherché sa juste place dans l’affaire dite « Neyret », du nom de l’ex-commissaire lyonnais, jugé par le tribunal correctionnel de Paris pour neuf délits, notamment corruption et détournements de scellés. Au bout de dix journées de procès, la disposition des corps et l’expression des visages, sur le banc des prévenus, ont bien reflété les positionnements des différents protagonistes.
Au centre, Michel Neyret, contre qui le parquet a requis, lundi, quatre ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis, estimant que l’ancien directeur adjoint de la police judiciaire de Lyon avait hautement trahi sa fonction. D’abord en traitant des informateurs avec des méthodes illégales, ensuite en incitant ses subordonnés à le suivre sur ce terrain miné, enfin en se laissant corrompre, acceptant des cadeaux, des séjours, en échange de services et d’interventions.
Face au tableau accablant de l’accusation, les avocats de la défense ont voulu rappeler « le serviteur de la justice » qu’avait été le commissaire, à l’époque de sa gloire reconnue et décorée de la Légion d’honneur. A la barre des procès, le chef de l’antigang savait résumer les dossiers, sans note, infaillible, a rapporté en substance Gabriel Versini. Et pour l’avocat lyonnais, ses résultats passaient forcément par des pratiques qui sortaient de « l’usine à gaz » des codes de procédure ou de déontologie.
« Grisé »
Les faits incriminés portent sur une courte période, au début de 2011, à un an de sa retraite. « Huit mois de parenthèse dans une vie exemplaire, c’est cette parenthèse que vous avez à juger », a tenté de relativiser Yves Sauvayre. Pour les défenseurs, le commissaire, « grisé par ses résultats » et poussé par une hiérarchie qui « en redemandait », n’aurait jamais dû revenir à Lyon en 2007 au poste de directeur adjoint, après vingt années passées à l’antigang entre 1984 et 2004.
De part et d’autre de Michel Neyret, deux chaises vides sur le banc des prévenus signent symboliquement la fuite de Gilles Bénichou et Stéphane Alzraa, ses deux corrupteurs présumés. Décrits tout au long du procès comme des informateurs fictifs et de cyniques escrocs, ils ont déséquilibré les débats malgré leur absence. Comment ces deux cousins ont-ils pu à ce point berner un policier à la réputation aussi forte ? Faute de les entendre, le procès a buté sur le mécanisme intime qui a conduit le commissaire à sa perte.
David-Olivier Kaminsky, venu représenter Stéphane Alzraa, a contesté le rôle prééminent prêté « exagérément » à son client. Selon l’avocat, le lien entre le jeune golden boy et le commissaire est à mettre sur le compte d’une « relation de convivialité », ou alors d’un pacte de corruption « très modéré ». A distance, au bout du banc comme au bout du rouleau, Nicole Neyret se recroqueville lorsque son avocat décrit une femme « délaissée et rejetée ». Selon lui, elle était incapable d’imaginer que son mari de commissaire pouvait se laisser corrompre, même si elle sentait qu’il perdait pied. Le parquet a au contraire estimé que l’épouse, à travers ses conversations et ses SMS précurseurs, n’ignorait rien de l’origine douteuse des cadeaux et des séjours offerts, dont elle profitait aussi. Olivier Gardette a plaidé la relaxe, faute d’intention.
« Traquenard »
Tout à l’opposé du banc, Cyril Astruc, sourire en coin, est tourné de trois quarts comme s’il observait ce monde policier se débattre. Le parquet a requis deux mois avec sursis et une amende, pour recel de violation du secret professionnel. L’homme élégant a contesté avoir sollicité des fiches qui ne lui apprenaient rien sur ses multiples ennuis judiciaires, auprès d’un commissaire qu’il n’a jamais rencontré. Son avocate a plaidé la relaxe, l’exagération. Catalogué comme un fraudeur d’envergure, il aurait donné « une coloration » au dossier, selon Me Beaulieu.
Relaxe encore, plaidée par les défenseurs des trois autres policiers, éloignés de leur ancien supérieur hiérarchique sur le banc, comme pour tenir à distance le scandale qui a ravagé leurs carrières. « La police des polices a eu envie de tailler un costume pour Michel Neyret », a plaidé Anne-Laure Compoint, dénonçant une enquête expéditive. « Un traquenard judiciaire », a estimé Emmanuel Daoud. Poussant la logique jusqu’au bout, Pierre Degoul a plaidé la rare notion de « contrainte morale », pour exonérer le seul policier qui a reconnu avoir détourné trois plaquettes de cannabis, sur « demandes insistantes de son supérieur ». Replacé au centre des débats, Michel Neyret, sourire contraint, a levé la tête, regard en direction des hautes fenêtres de la salle des Criées, comme s’il voyait son passé basculer. Jugement le 5 juillet.