« En 2030, on ne pourra plus dire que l’épidémie de sida nous fait peur »
« En 2030, on ne pourra plus dire que l’épidémie de sida nous fait peur »
Propos recueillis par Marie Bourreau (New York, Nations unies, correspondante)
Plus de 190 Etats membres se sont réunis cette semaine à New York pour réaffirmer leur volonté d’éradiquer le sida. Entretien avec Michel Sidibé, directeur exécutif de l’Onusida.
Est-ce réaliste d’imaginer un monde sans sida d’ici 2030 ?
Nous n’aurons pas zéro infection au sida en 2030. Mais j’espère que nous serons capables de contrôler l’épidémie comme un problème de santé publique. En 2030, on ne pourra plus dire que cette épidémie nous fait peur et qu’elle concentre toute notre énergie et nos ressources.
Les pays les plus touches par le Sida se trouvent en Afrique. Comment expliquez-vous que le virus continue à se propager dans ces régions-là ?
La partie délaissée, c’est surtout l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Car l’Afrique australe a fait des progrès incroyables. Aujourd’hui, on a pratiquement contrôlé l’épidémie dans la plupart de ces pays en termes de réduction de nouvelles infections et de réduction des décès. Dans un pays comme l’Afrique du Sud, on a pratiquement 3,3 millions de personnes sous traitement, c’est le programme le plus large de traitement mené dans le monde. On observe une baisse des nouvelles infections chez les enfants de 86 %. Même chose au Swaziland, au Botswana. Donc on est dans une situation que je considère plutôt très encourageante en Afrique australe.
Un chiffre témoigne tout de même de la prévalence de la maladie : le sida reste la première cause de mortalité chez les femmes de 15 à 44 ans. Comment cibler cette population-là ?
Tant qu’on ne met pas les femmes et les jeunes filles au cœur de nos préoccupations, on ne gagnera pas contre l’épidémie du sida en Afrique : 73 % des nouvelles infections se produisent chez les jeunes filles. Ce chiffre stagne depuis vingt ans. Donc il faut absolument se battre contre les violences faites aux femmes, encourager l’éducation à la sexualité et arriver à garder ces jeunes filles à l’école le plus longtemps possible. Ce sont des stratégies indispensables si on veut gagner contre la maladie.
En ce qui concerne les populations les plus discriminées, homosexuels, prostituées et toxicomanes, comment se passe la prise en charge ?
Cela reste assez timide. Les gens pensent encore que le sida est une épidémie hétérosexuelle. Mais on voit quand même des changements. J’étais récemment au Kenya. Il y a quelques années, on ne pouvait pas parler des gens qui s’injectent de la drogue. Aujourd’hui, nous avons un très bon programme de réduction des risques, comme au Sénégal qui vient de créer un centre pour les toxicomanes. Il y a donc des pays qui commencent à revoir timidement leur politique en matière de discriminations pour essayer de prendre en compte ces populations-là.
Ce sont pourtant les populations les plus vulnérables qui ont le moins accès aux soins…
Lorsque les gens sont exclus ou discriminés par rapport à leur orientation sexuelle ou autres, cela devient très difficile de les atteindre. C’est là tout notre problème. C’est pour cela qu’on essaye de promouvoir l’idée d’un accès universel aux soins. Et on ne peut pas y arriver si on ne brise pas ces lois punitives et discriminantes.
Un accès universel aux soins donc aux médicaments qui restent rares en Afrique. Faut-il créer une industrie du médicament en Afrique ?
Je me suis battu dès le premier jour en disant qu’il fallait aller vers une pharmacie locale africaine. Aujourd’hui, le poids de la maladie se trouve en Afrique. Au moins 25 % des malades se trouvent en Afrique. Et en même temps, moins de 2 % des médicaments consommés sont produits en Afrique. Il faut que les pays se mettent ensemble, se disent : « Tiens, on peut avoir quatre ou cinq pôles de production de médicaments par exemple en Afrique du Sud, au Nigeria, en Egypte ou en Ethiopie » et qu’une coopération puisse s’établir avec les firmes pharmaceutiques. On peut déjà produire des médicaments qui ne sont pas sous licence. Ça créerait de l’emploi, de la mobilité, du transfert de compétences techniques, un pôle de recherche et de développement !
Ce serait aussi l’assurance d’avoir des antirétroviraux moins chers ?
Je pense que c’est possible. Il faut anticiper sur les dix ou quinze prochaines années. L’industrie pharmaceutique qui produit aujourd’hui le médicament générique qui permet à des millions de gens de vivre est en Inde. On voit de plus en plus que ces firmes produisent d’autres médicaments et délaissent progressivement la production des médicaments contre le sida. Il faut donc nécessairement que l’Afrique arrive à produire ses propres médicaments de qualité.
Vous êtes optimiste pour l’avenir ?
Nous avons une opportunité unique ces cinq prochaines années. Si on la rate, on va assister à un rebond de l’épidémie. Si on maintient notre objectif, on observera une baisse tellement rapide dans les nouvelles infections que les coûts du traitement vont aussi commencer à baisser et en définitive en 2030, on aura une baisse spectaculaire. Il ne faut pas perdre l’opportunité qu’on a construite ces vingt dernières années sur la base de la solidarité globale. Le sida est un problème mais aussi une opportunité. Il faut donc la saisir.