Le Congolais Bosco Ntaganda, le 28 août 2018, à la Cour pénale internationale, où il est poursuivi pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. / Bas Czerwinski / AP

A en croire l’accusation, Bosco Ntaganda « connaît le nombre exact de balles tirées par ses soldats ». Ancien commandant en second de la branche militaire d’une milice congolaise, jugé depuis trois ans par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, l’homme ne quitte pas son masque glacial, ce mardi 28 août, lors des cinq heures de réquisitoire du procureur. Cinq heures d’une longue litanie de crimes commis en 2002 et 2003 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Si le costume noir et la cravate nouée à son cou ont pu donner une allure respectable au détenu, elles ne font pas oublier le seigneur de guerre, surnommé « Terminator » « pour sa violence notoire de tueur », rappelle Nicole Samson, la substitut du procureur. Bosco Ntaganda aurait planifié, ordonné, supervisé les crimes et même participé.

Des témoins ont attesté de sa présence lors d’une séance de torture. L’accusation a rappelé que « Ntaganda a interrogé et battu un prêtre, avant de l’exécuter de sang-froid, à bout portant ». D’autres témoins ont assuré qu’il aurait violé des fillettes de moins de 15 ans enrôlées dans ses troupes. « Va enculer ta mère », aurait-il dit, en kinyarwanda, sa langue natale, à un civil descendu par l’un de ses soldats.

« Donne-moi un couteau et une cuvette »

M. Ntaganda est jugé à La Haye (Pays-Bas) pour son « rôle central » dans « le plan pour le contrôle militaire et politique de l’Ituri », a fait savoir l’accusation. Un plan dont le volet criminel n’est pas nécessairement écrit, mais dont les grandes lignes figurent dans les documents de l’Union des patriotes congolais (UPC), un mouvement rebelle constitué de l’ethnie des Hema.

Bosco Ntaganda a « admis que l’idéologie de l’UPC était d’évincer le mal et d’avoir le pouvoir au Congo ». Selon les documents fondateurs de la rébellion, devenus pièces à conviction du procureur, « le mal en Ituri, c’était les Lendu et les Nande », deux communautés rivales. Ces tensions ethniques ont été alimentées par les pouvoirs ougandais et rwandais, qui convoitent les richesses minières de l’Est congolais.

Le rôle des deux pays dans les conflits de leur voisin, qui depuis plus de deux décennies ont causé des morts par millions, n’est qu’effleuré dans les procès de miliciens congolais devant la CPI. L’accusation a circonscrit ses affaires à leur seule dimension ethnique. Dans l’affaire Ntaganda, il est simplement admis que le Rwanda a fourni des armes.

Bosco Ntaganda se veut un officier aguerri, formé dans les rangs de l’ex-rébellion rwandaise. Il a assuré tout au long de son procès respecter les lois de la guerre. Mais pour l’accusation, les formations militaires des jeunes recrues de l’UPC comprenaient des chansons « aux paroles extrêmement violentes à l’égard du groupe lendu ». Mme Samson en rappelle les paroles : « Donne-moi un couteau et une cuvette, que je puisse égorger un Lendu. »

Esclavage sexuel et enrôlement d’enfants

S’appuyant sur les récits de ses 80 témoins appelés au cours du procès, Mme Samson égrène les meurtres, les attaques de civils, les viols, l’esclavage sexuel, l’enrôlement d’enfants. Au banc des accusés, Bosco Ntaganda reste figé. L’immense salle d’audience résonne des récits du massacre de l’église de Sayo, où la fosse commune était recouverte d’une plaque d’acier. Lors de son interrogatoire, qui avait duré six semaines, Bosco Ntaganda avait assuré que la population de Sayo avait fui son village et qu’il n’y avait pas eu de massacre. « Une population de 25 000 personnes ne disparaît pas immédiatement au son d’un tir », a asséné Mme Samson.

L’accusation diffuse des photos du massacre de Kobu sur les écrans de la salle d’audience. Ici, une femme éventrée, là, des corps empilés entre des feuilles rabougries de bananiers, des gorges tranchées. Les substituts du procureur évoquent des massacres, notamment à Mongbwalu, la ville des chercheurs d’or. Dix-neuf anciens membres de l’UPC – de simples enfants soldats ou des cadres du mouvement – avaient déposé au procès contre leur ancien chef. A la barre, 39 victimes avaient aussi raconté les viols, « parfois avec des bâtons », et l’esclavage sexuel. L’accusation a rappelé le viol d’une fillette de 9 ans, « morte des suites de ses blessures ».

Après le procureur, les avocats des 2 123 victimes participant au procès concluront à leur tour, avant de donner la parole à la défense et à Bosco Ntaganda. Les juges devraient entamer leur délibéré jeudi 30 août. Le bureau du procureur n’a, à ce stade, requis aucune peine contre l’accusé, mais simplement demandé aux juges de le déclarer coupable. Alors que les crimes reprochés au milicien remontent à seize ans et qu’il est incarcéré depuis cinq ans, les juges n’ont pas accéléré la cadence. S’il devait être reconnu coupable, de nouvelles audiences seront organisées pour fixer la sentence.