En Tunisie, Ennahda « sort de l’islam politique »
Rached Ghannouchi : « Il n’y a plus de justification à l’islam politique en Tunisie »
Par Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)
Le président du mouvement islamiste tunisien, Rached Ghannouchi, annonce au « Monde » une révision fondamentale de la doctrine de son parti.
Le 10e congrès du parti tunisien Ennahda se tient du 20 au 22 mai. Dans un entretien au Monde, son président, Rached Ghannouchi, 74 ans, révèle la teneur de la révision doctrinale en cours au sein de la formation, jusque-là qualifiée d’islamiste. Ennahda, dont le groupe parlementaire est le plus important à l’Assemblée, se définit désormais comme « un parti politique, démocratique et civil et qui a un référentiel de valeurs civilisationnelles musulmanes et modernes ».
« L’un des points à l’ordre du jour [du congrès] sera de discuter du rapport entre la dimension politique et la dimension religieuse » du mouvement, explique M. Ghannouchi. Il estime que l’islam politique a perdu de sa « justification » en Tunisie après la révolution de 2011 et la mise en place de la Constitution de 2014. Le pays vit actuellement en démocratie, fait-il valoir, souligant que « l’extrémisme laïc tout comme l’extrémisme religieux » sont désormais limités. Dans un tel contexte, il lui semble essentiel de distinguer le politique du cultuel : « Nous voulons qu’un imam ne soit dirigeant, ni même membre à terme, d’aucun parti. »
Par ailleurs, insiste-t-il, le concept d’islam politique a été défiguré par l’extrémisme véhiculé par Al-Qaida et l’Etat islamique. Et d’insister, dès lors, sur la nécessité de montrer la différence entre la « démocratie musulmane » dont se réclame Ennahda et « l’islam djihadiste extrémiste ».
« Besoin d’apprendre à coexister »
Rached Ghannouchi souhaite que sa formation se concentre sur les « problèmes quotidiens, de la vie des familles et des personnes », et ne soit pas un parti qui parle du Jugement Dernier à ses concitoyens. Abordant notamment la question des droits des femmes dans son pays, il estime que la Constitution de 2014 « a mis fin à ce débat ». Il déplore néanmoins que la participation des femmes à la vie publique reste encore limitée. « A notre congrès, il y aura un appel à élever [celles-ci] au sein du mouvement », promet-il.
Il reste plus élusif sur les questions de l’égalité entre les hommes et les femmes – « la plupart des Tunisiens, et même au sein de l’élite, considèrent que c’est un faux problème pour faire diversion » – comme sur la dépénalisation de l’homosexualité – « nous sommes respectueux de la loi tunisienne, qui fait la différence entre les libertés individuelles et l’espace public ».
Depuis le début de 2015, Ennahda est partie prenante d’une coalition gouvernementale dirigée par le parti Nidaa Tounès, son ancien adversaire. Une participation gouvernementale « dans l’intérêt du pays », précise M. Ghannouchi. « On y fait l’apprentissage de la gestion d’intérêts divergents, surtout dans un pays comme le nôtre qui a connu pendant très longtemps le monopole de la décision politique. On a donc besoin d’apprendre à coexister, à cohabiter avec la différence. »