La fortune du clan Sassou-Nguesso dans le viseur de la justice américaine
La fortune du clan Sassou-Nguesso dans le viseur de la justice américaine
Par Joan Tilouine
L’homme d’affaires anglo-libanais Mohsen Hojeij poursuit son offensive judiciaire pour le règlement d’une créance d’un milliard d’euros.
En plus du dossier des « biens mal acquis » qui vise le président congolais Denis Sassou-Nguesso et ses proches à Paris, une autre affaire inquiète Brazzaville. Cette fois, c’est entre les Etats-Unis et la France que se déroule l’offensive judiciaire de l’homme d’affaires anglo-libanais né au Nigeria, Mohsen Hojeij, 60 ans, actionnaire majoritaire de la société de BTP Commissions Import Export (Commisimpex) qui fut l’un des plus grands groupes privés du Congo. Cette société est détenue à 89 % par M. Hojeij, le reste du capital étant entre les mains d’un associé américain, John Grosso.
La dette vertigineuse que le créancier réclame au petit pays pétrolier d’Afrique centrale remonte à des travaux impayés réalisés entre 1983 et 1986. De près de 100 millions d’euros en 1992, le montant s’élève à 675 millions d’euros en 2013 pour atteindre aujourd’hui un milliard d’euros. Une créance qui équivaut à 17 % du budget de l’Etat congolais. De quoi faire vaciller le régime et gâcher le séjour américain de la première dame, Antoinette Sassou-Nguesso.
« Prête-noms et conseils de Sassou-Nguesso »
Jeudi 9 juin, alors qu’elle séjournait à l’hôtel Four Seasons de Washington, Mme Sassou-Nguesso, 73 ans, s’est vu signifier en main propre par un officier de la cour du district de Columbia une assignation à comparaître au cabinet d’avocats White & Case, défendant M. Hojeij. Ainsi l’épouse du chef de l’Etat, connue pour son train de vie fastueux, sera-t-elle contrainte de livrer des d’informations relatives aux sources de revenus et aux biens de sa famille aux Etats-Unis lors de sa convocation, le 27 juin, à 10 heures précises.
L’assignation détaille les documents escomptés : comptes bancaires, titres de propriété, sociétés détenues, avoirs et actifs, preuves et origines de dépenses en espèces, dettes et contrats liant le Congo à des partenaires étrangers. Et ce, pour la première dame et pour plusieurs autres membres du clan Sassou-Nguesso, dont certains occupent des fonctions officielles.
Cette fois, la première dame est priée de livrer tous les éléments dont elle dispose sur les avoirs et les activités du président, du fils de celui-ci, Denis Christel Sassou-Nguesso – issu d’un premier mariage. Egalement député, le quadragénaire est l’administrateur général de l’unique raffinerie du pays, la Coraf. Habitué des clubs de Miami, où il disposerait d’un vaste appartement, il aime aussi y louer des bateaux de luxe. Surnommé « Kiki le pétrolier », Denis Christel Sassou-Nguesso voit également certains de ses amis figurer sur la liste, comme les traders pétroliers Lucien Ebata et Jean-Philippe Amvame Dong. Tous trois apparaissent dans les « Panama papers ».
Antoinette Sassou-Nguesso sera également interrogée sur certaines des filles du président, comme Claudia, chargée de la communication de la présidence, Judith Cendrine qui préside le comité de direction de l’Agence pour la promotion des investissements, et Julienne, soupçonnée d’orchestrer les affaires pétrolières du clan et elle aussi visée par l’enquête des « biens mal acquis ».
Sur la liste établie par le cabinet d’avocats de M. Hojeij sont aussi inscrits les noms du neveu du président et puissant chef des services de renseignement depuis quinze ans, Jean-Dominique Okemba, le ministre des grands travaux, Jean-Jacques Bouya, ou encore l’homme d’affaire français et ami proche du président, Jean-Yves Ollivier. En tout, 63 personnalités sont visées. « Que des gens connus pour avoir été des prête-noms ou des conseils de M. Sassou-Nguesso », explique-t-on dans l’entourage de M. Hojeij.
Six millions récupérés sur un milliard
Cette stratégie désormais plus agressive fait suite à un jugement rendu le 16 décembre 2015 par les autorités judiciaires américaines ordonnant à l’Etat congolais de lui livrer la liste de ses biens et actifs à l’étranger, en vue d’éventuelles saisies. Ce que n’a pas respecté Brazzaville. « Cette demande procède d’une ingérence qui n’appelle donc pas de réponse, explique Simone Bernard-Dupré, avocate de l’Etat congolais. Et je ne pense pas que Mme Sassou-Nguesso se rende à cette convocation, qui me semble particulièrement déplacée, s’agissant d’une première dame d’un pays souverain et indépendant. »
Antoinette Sassou-Nguesso peut toujours faire valoir son immunité diplomatique et contester cette assignation. Mais l’étau judiciaire américain se resserre encore un peu plus sur le clan Sassou-Nguesso qui apprécie pourtant les fastes de l’hôtellerie de New York et des manoirs de Miami.
« Nous n’avons jamais dérogé à notre conviction que nous devons protéger nos droits et, tout en cherchant une solution à l’amiable, nos équipes légales ont cherché les moyens qui nous permettraient de recouvrer le montant total de notre créance le plus rapidement possible, confient M. Grosso et M. Hojeij. La semaine dernière, elles ont franchi la dernière étape de ce processus. »
Le dossier Commisimpex empoisonne Denis Sassou-Nguesso, 72 ans, et son entourage, tout en menaçant l’économie du pays. D’autant que le Congo a déjà été condamné à deux reprises, en 2000 et en 2013, par la cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) de Paris. Des sentences arbitrales reconnues par la justice américaine.
Une saisie de 6 millions d’euros puisés dans les comptes en banque des autorités congolaises en France a déjà été permise par le tribunal de grande instance de Paris en juillet 2015 et en décembre 2015. De quoi grever le fonctionnement de l’ambassade du Congo à Paris, dont le crédit du compte à la Société générale a été saisi, sans pour autant être gelé, conformément au droit français. Pas suffisant pour M. Hojeij. Les experts qu’il a mandatés continuent méthodiquement leur traque aux biens et actifs du Congo à l’étranger.
Entre-temps, la justice congolaise a tenté d’inverser les rôles en déclarant en faillite Commisimpex en 2012. Et de lui attribuer une dette fiscale de 700 millions d’euros. Une décision rejetée par les tribunaux américains et français. « La liquidation orchestrée par la justice congolaise est grossièrement frauduleuse, tranche Jacques-Alexandre Genet, avocat français de Commisimpex. Faute de négociation possible, M. Hojeij a été contraint à mener ces actions judiciaires qui se prolongeront tant que sa dette n’aura pas été réglée. »
Toutefois, pour Me Simone Bernard-Dupré, c’est bien la République du Congo qui est créancière de 700 millions d’euros dus par la société de M. Hojeij et M. Grosso. « La liquidation de la société Commisimpex a été confirmée de façon définitive au Congo, mais aussi par la Cour commune de justice et d’arbitrage [CCJA, composée de 17 Etats africains, sous l’égide de l’ONU] le 29 février 2016 », veut justifier l’avocate.
Déstabiliser l’économie congolaise
Au Congo, pays d’Afrique centrale riche de son pétrole et de son bois, plus de la moitié des 4,7 millions d’habitants vit toujours avec moins d’un dollar par jour, selon la Banque mondiale. Après avoir fait modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir et réprimé ses opposants, Denis Sassou-Nguesso, qui cumule plus de trente-deux ans à la tête de l’Etat, a été réélu en mars dès le premier tour lors d’une élection contestée par la communauté internationale.
Denis Sassou-Nguesso gouverne entouré de son clan, régulièrement accusé par les organisations non gouvernementales de confisquer la richesse du pays et de détourner massivement des revenus du pétrole qui assurent 69 % des recettes publiques. Plusieurs membres du premier cercle du président pourraient être prochainement inquiétés par la justice française dans le cadre de l’affaire des « biens mal acquis », une enquête débutée en 2007 et diligentée par les magistrats Roger Le Loire et René Grouman. Mais cet autre front judiciaire entretenu par l’opiniâtre M. Hojeij menace clairement le budget de l’Etat congolais, miné par la chute des cours du pétrole et en baisse de 8 % en 2016. S’il parvenait à ses fins, M. Hojeij pourrait déstabiliser l’économie du pays et fragiliser encore un peu plus son ancien ami le président.