Cette semaine, « Le Monde des livres » vous recommande un essai de Georges Didi-Huberman sur la puissance émancipatrice des larmes, une formidable enquête mettant en lumière les liens entre le football et la politique, le récit d’un aventurier de l’art et un palpitant carnet de voyage au Nevada.

ESSAI. Peuples en larmes, peuples en armes. L’Œil de l’histoire 6, de Georges Didi-Huberman

Les larmes ne sont pas un pur signe d’effondrement, d’impuissance. Au contraire, elles peuvent constituer un geste politique, une manière de retrouver du sens et une dignité. Le sanglot comme sursaut, tel est le motif du livre de Georges Didi-Huberman, penseur sensible et intellectuel de renommée internationale. Commentant, entre autres, une scène du Cuirassé Potemkine (1925), célèbre film du cinéaste russe Sergueï Eisenstein, Didi-Huberman mobilise la philosophie et l’art pour rendre justice aux larmes, à leur force vulnérable, à leur puissance d’émancipation. Un grand essai, écrit d’une plume aussi douce que généreuse. Jean Birnbaum

LES EDITIONS DE MINUIT

Peuples en larmes, peuples en armes. L’Œil de l’histoire 6, de Georges Didi-Huberman, Minuit, « Paradoxe », 464 p., 29,50 €.

ENQUÊTE. Le Dernier Penalty, de Gigi Riva

C’est une formidable enquête que livre Gigi Riva, avec Le Dernier Penalty. Rédacteur en chef de l’hebdomadaire italien L’Espresso, homonyme d’une légende de la Squadra Azzura (!), Gigi Riva a couvert la guerre des Balkans. Son livre raconte comment foot et politique se sont croisés durant un demi-siècle, jusqu’au paroxysme de Florence en 1990.

Cette année-là, l’Italie accueille le Mondial de foot. Le 30 juin, les Yougoslaves affrontent, en quarts de finale, les Argentins de Maradona. Au coup de sifflet final, le score est nul. La séance des tirs au but s’achève sur un penalty raté du capitaine, Faruk Hadzibegic. Ultime apparition de l’équipe nationale d’un pays en voie d’implosion. C’est dans les virages des stades, tenus par la pègre, qu’ont été formés, en Serbie et en Croatie, les groupes paramilitaires, dont les méfaits, dans les années 1980, préfigurent les conflits de la décennie suivante. Passionnant. Macha Séry

SEUIL

Le Dernier Penalty. Histoire de football et de guerre (L’ultimo rigore di Faruk. Una storia di calcio e di guerra), de Gigi Riva, traduit de l’italien par Martine Segonds-Bauer, Seuil, « Fiction & Cie », 190 p., 15 €.

RÉCIT. Histoires d’œils, de Philippe Costamagna

C’est un livre ami du désordre et de l’Italie, posé mais un peu fou quand même. On y parle de peinture et d’argent, d’érudits parfois bandits, mais aussi de Raphaël, de doigts de pied christiques, de garagistes et de révélations. Il faut dire que le métier de l’auteur, cette étrange profession dont il nous entreprend dans les pages d’Histoires d’œils, mène à l’aventure. Philippe Costamagna est un « œil », un spécialiste du regard, l’homme qui confirme les attributions, déniche des auteurs aux tableaux oubliés, débusque les faux, tire une œuvre de l’obscurité ou l’y replonge. Révélation, intuition, coup de génie : la profession a ses légendes. Elle a aussi ses héros et ses fondateurs. Avec une tranquille élégance, l’auteur nous initie à cette mythologie. Mi-essai historique, mi-récit autobiographique, riche de mille anecdotes, Histoires d’œils suit son chemin en serpentant, pour notre plus grand plaisir. Julie Clarini

GRASSET

Histoires d’œils, de Philippe Costamagna, Grasset, « Le courage », 272 p., 20 €.

RÉCIT DE VOYAGE. Séjour au Nevada, de Bernardo Atxaga

Il y a sans doute plus enthousiasmant que Reno, grande ville du Nevada, pour s’expatrier. C’est pourtant dans cette cité, petite sœur riche en casinos de Las Vegas, la folie et le kitsch en moins, que le romancier espagnol Bernardo Atxaga s’est vu offrir, en 2007, une résidence d’écriture de dix mois. Un pensum ? Au contraire : l’écrivain, aussi habile à saisir l’étrangeté des personnages qu’il croise qu’à décrire les décors majestueux qui l’entourent, a tiré de cette expérience un livre réjouissant, à la croisée des genres : autobiographie, essai, carnet de voyage, roman policier… Soit un ensemble hybride de plus d’une centaine de textes qui fait de cet exil consenti une aventure littéraire palpitante. Ariane Singer

CHRISTIAN BOURGOIS

Séjour au Nevada, de Bernardo Atxaga, traduit de l’espagnol par André Gabastou, Christian Bourgois, 472 p., 20 €.