Le bac, « un rite de passage qui subsiste »
Bac 2016 : « Un rite de passage qui subsiste »
A l’occasion de la première journée du baccalauréat 2016, Campus accueillait dans ses locaux le psychiatre Samuel Lepastier pour un tchat sur le site du Monde.fr.
Lors du baccalauréat, le 15 juin à Strasbourg. | FREDERICK FLORIN / AFP
On parle de lui comme d’un rite d’initiation, un rite de passage républicain indispensable, tout en affirmant année après année qu’il perd de sa valeur, qu’il ne sert plus à rien. Malgré cela le bac, dans lequel se sont lancés ce mercredi 15 juin quelque 700 000 lycéens, est toujours appréhendé avec gravité par les candidats… et leurs parents. Le psychiatre Samuel Lepastier répondait ce matin à toutes vos questions sur ce sésame qui n’en est pas vraiment un.
« Est-il pertinent de parler de “rite d’initiation” pour le baccalauréat ? »
Samuel Lepastier : Avec la civilisation de l’écrit, les rites de passage des sociétés traditionnelles sans écritures ont perdu leur fonction. En revanche, des épreuves fondées sur des connaissances ont pris leur suite. Le baccalauréat est bien un rite d’initiation, comme l’indique la formule « passe ton bac d’abord ! », et le fait que des années après, beaucoup d’adultes ne cessent de faire référence d’une façon ou d’une autre au baccalauréat.
Nous avons vu aujourd’hui que l’ouverture des épreuves a eu une résonance nationale, avec des interventions de plusieurs ministres et de leaders de l’opposition. C’est bien parce que c’est un rite de passage qui subsiste malgré un coût d’organisation élevé.
« Pourquoi le bac stresse-t-il autant les lycéens alors qu’on passe notre temps à dire que tout le monde l’a et qu’il ne sert à rien ? » - Guillaume
Samuel Lepastier : Etre bachelier en France a une très grande valeur symbolique. Car il n’indique pas seulement l’acquisition d’un niveau de connaissance, mais qu’il a été longtemps un « brevet de bourgeoisie ». Et aujourd’hui, avec la majorité à 18 ans, cette épreuve marque l’entrée dans la vie adulte. Nombre de lycéens craignent de quitter l’établissement qu’ils connaissent, où ils étaient relativement protégés, pour affronter les incertitudes d’un monde qui n’a rien de bien réjouissant aujourd’hui, il faut bien le dire. Et ils ont aussi peur de réussir que d’échouer.
« Ne faut-il pas avoir une certaine expérience de la vie pour pouvoir philosopher ? » - Soul
Samuel Lepastier : Nous sommes contraints de philosopher dès les premières années de notre vie. Les enfants se demandent très tôt comment ils sont venus au monde, ce qu’est la mort, et pourquoi ils ne sont pas déjà grands. Avec la puberté, les adolescents sont confrontés à l’apprentissage d’un corps adulte qu’ils ne maîtrisent pas très bien, et sont également inquiets par un écart possible entre ce qu’ils apprennent en classe et ce qui les attend plus tard. Philosopher ce n’est pas seulement connaître des auteurs, c’est aussi comprendre à partir de son expérience personnelle les vérités plus générales et en tirer des enseignements pour sa propre vie. Mieux que d’autres, parce qu’ils ne sont pas encore blasés, les lycéens sont naturellement portés à philosopher.
« Je suis titulaire d’un master 2, et malgré tous les examens et concours que j’ai passés, le plus marquant reste le bac. Pourquoi autant d’appréhension ? » - Sabrine
Samuel Lepastier : Les examens ultérieurs apparaissent souvent comme de nouvelles éditions du baccalauréat qui, parce qu’il embrasse l’ensemble des disciplines enseignées et qu’il marque une coupure par rapport à l’enfance et à l’adolescence, reste l’épreuve de référence tout au long de la vie. En même temps, qu’on l’ait obtenu ou pas, chacun peut évoquer le baccalauréat, ce qui n’est pas le cas pour les diplômes ultérieurs plus spécialisés.
« Quels sont les prochains rites de passage qui attendent les lycéens après leur bac ? » - Mel
Samuel Lepastier : Les autres rites d’intégration ont perdu leur valeur. Certes, il y a toujours le permis de conduire, mais sa valeur culturelle est moindre. Notons le succès croissant du service civique, qui a remplacé le service militaire en tant que rite. Certains jeunes diplômés tiennent à faire le service civique alors qu’ils pourraient s’insérer dans le monde professionnel sans lui. Dans l’enseignement supérieur, les examens, et surtout les concours, ont une valeur initiatique mais moindre, car l’épreuve n’est pas passée par l’ensemble d’une génération. Alors que, par exemple, le permis de conduire concerne tout le monde.
« Que se passe-t-il pour les quelque 120 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme ? Comment abordent-ils la vie future sans ce “rite de passage” ? » - Max
Samuel Lepastier : Effectivement c’est un problème social, comme le montre a contrario le fait que certains non-bacheliers qui ont une réussite sociale exemplaire se glorifient de leur absence de diplôme. Il reste que pour la quasi-totalité de ces laissés-pour-compte, la blessure narcissique se double d’incertitude sur leur avenir professionnel. Cela les amène à des attitudes volontiers défaitistes ou provocatrices. Certains se réfugient dans la délinquance, la marginalité ou une fascination pour les idéologies totalitaires de tous bords. Il serait important de valoriser pour eux des accompagnements qui les aident à surmonter leur handicap. Par exemple, outre le service civique : un accompagnement majoré à la formation professionnelle, la valorisation d’autres aptitudes comme le sport ou les talents artistiques.
« Pensez-vous que nous ne sommes pas assez préparés au monde professionnel ? En effet, beaucoup de bacheliers changeront d’orientation dès leur première année universitaire. » - Hykaru
Samuel Lepastier : Nous vivons dans un monde où les choses bougent très vite. La fonction de l’enseignement aussi bien au lycée qu’à l’université n’est pas seulement d’acquérir des compétences directement utilisables mais d’être apte à s’adapter aux changements à venir prévisibles ou imprévisibles. C’est pourquoi il faut prévoir des passerelles de rattrapage rendant plus faciles les changements d’orientation. L’essentiel est de ne pas seulement appliquer des recettes mais de pouvoir penser son action. Le plus important est d’être capable de choisir de façon éclairée.
« La philosophie a-t-elle une place particulière dans la dimension initiatique du bac ? » - Yohan
Samuel Lepastier : Je ne suis pas philosophe mais psychiatre et psychanalyste. Cependant je pratique des disciplines de l’esprit qui ne sont pas sans rapport avec la philosophie. Et mes patients me rapportent leurs interrogations existentielles. La philosophie a une valeur initiatique parce que son enseignement dans le secondaire avait été pensé pour préparer les lycéens à se dégager d’une emprise cléricale trop importante. Même si on ne fait pas de philosophie par la suite, il est nécessaire qu’un temps soit donné au sortir de l’adolescence pour s’interroger sur les questions fondamentales qui se posent à tout être humain.
« Pourquoi le bac garde-t-il une telle importance symbolique ? » - Oriane L
Samuel Lepastier : A mesure qu’un plus grand nombre de jeunes gens et de jeunes filles accèdent au baccalauréat, son importance symbolique grandit, car il marque la fin de l’adolescence avec la fin des études secondaires, et l’entrée dans le monde des adultes (monde professionnel, université ou classe préparatoire). Par la suite, les adultes racontent leur baccalauréat comme s’ils en étaient les anciens combattants et les générations se retrouvent autour du baccalauréat passé par les plus jeunes. Bien entendu la réalité sociale actuelle vient nuancer cette vision un peu idéalisée. Il n’empêche qu’il n’existe pas d’épreuve symbolique équivalente dans le monde d’aujourd’hui. Dans les pays germaniques l’équivalent du baccalauréat a pour nom « examen de maturité » (Matura).