Loi travail : les réponses à vos questions sur les grèves et blocages
Loi travail : les réponses à vos questions sur les grèves et blocages
Par Les Décodeurs
Que pèse la CGT ? Peut-on réquisitionner des salariés ? Va-t-on manquer d’électricité ? Le point sur les interrogations fréquentes de nos lecteurs.
Vers 6 heures du matin, jeudi 26 mai, des militants de la CGT bloquent le port de Brest. | ANTONIN SABOT/LEMONDE
Lors de notre couverture en direct des manifestations et mouvements sociaux contre la loi travail, les lecteurs nous posent certaines questions de manière récurrente. Voici les réponses aux plus fréquentes de vos interrogations.
1. Débloquer des raffineries ou dépôts de carburant par la force est-il une atteinte au droit de grève ?
Le droit de grève est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 (alinéa 7). Reconnu à tout salarié, il doit s’exercer sous certaines conditions. Le mouvement doit être collectif, répondre à des revendications et ne pas affecter l’activité des autres salariés. « Le blocage de l’accès à un site, l’occupation des locaux afin d’occuper le travail des non-grévistes sont des actes abusifs, de même que la dégradation des locaux et matériels », précise le site service-public.fr.
Dans ces conditions, les forces de l’ordre ont le droit d’intervenir pour rétablir la liberté de circulation. C’est ce qui s’est produit mardi à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) où les CRS ont dégagé les barrages devant le dépôt de carburant et la raffinerie, et mercredi à Douchy-les-Mines (Nord) mais aussi devant le dépôt de Brest, et sur le pont de Normandie.
2. Peut-on réquisitionner des salariés pour faire fonctionner les raffineries ?
Pour éviter la pénurie de carburant, l’opposition réclame des réquisitions d’employés dans les raffineries. C’est possible : le code des collectivités territoriales de 2003 autorise les préfets à réquisitionner du personnel « lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige ». Pour l’instant, le gouvernement n’a pas choisi cette option, mais le premier ministre, Manuel Valls, a affirmé jeudi que « toutes les possibilités [étaient] sur la table ».
Lors des grèves d’octobre 2010 contre la réforme des retraites, le gouvernement Fillon avait ainsi réquisitionné des salariés de raffineries, considérant que les pénuries pouvaient troubler l’ordre public en Ile-de-France et perturber le trafic aérien à Roissy. Toutefois, le tribunal administratif n’a pas autorisé à réquisitionner la totalité des grévistes, mais a validé un arrêté impliquant seulement un nombre minimal d’employés. L’organisation internationale du travail (OIT) distingue les motifs liés à des services essentiels (salubrité, santé) et non essentiels (maintien de l’activité économique).
Pour la production d’électricité, le Conseil d’Etat a reconnu dans une décision de 2013 qu’EDF était compétente pour limiter le droit de grève dans ses centrales.
3. Va-t-on manquer d’électricité ?
Jeudi 26 mai, la grève a été votée dans au moins 16 des 19 centrales nucléaires de France. Parmi elles, 10 ont procédé à des baisses de production et 2 centrales thermique sont à l’arrêt : Gardanne (Bouches-du-Rhône) et Porcheville (Yvelines)
Les centrales nucléaires assurent plus des trois-quarts (76,3 % de la production française d’électricité, complétées par les centrales thermiques (pour 17,5 % d’énergies renouvelables).
Selon RTE, l’entreprise chargée du réseau de transport d’électricité, jointe par Le Monde, « aujourd’hui, l’offre de production en France est suffisante et disponible pour couvrir les besoins électriques des Français. Toutefois, nous restons vigilants et attentifs à l’évolution de la situation. Si elle venait à se dégrader, il y aurait la possibilité de recourir à des importations plus importantes que d’habitude, via les 50 lignes électriques transfrontalières ».
L’application Eco2mix développée par RTE, permet de connaître en temps réel la production et l’import/export d’électricité en France, par source d’énergie. Jeudi 26 mai à la mi-journée, la production d’électricité nucléaire s’établissait à 38 000 mégawatts, contre 41 400 la veille, et 42 000 le jeudi précédent : on constate donc un « déficit » de production nucléaire de l’ordre de 3 500 MW, compensé par une augmentation de production des centrales à gaz et une baisse des exportations.
4. Va-t-on manquer de carburant ?
La pénurie de carburant est une réalité ressentie depuis plusieurs jours par les automobilistes, qui font la queue aux stations-service ou trouvent des pompes vides. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait plus d’essence ou de gasoil en France. Le problème réside dans son acheminement.
Les défauts d’approvisionnement sont liés au blocage de toutes les raffineries et de nombreux dépôts de carburant par la CGT, auxquels s’ajoute un pic de consommation de « trois à cinq fois supérieur à ce qu’il est en routine », selon l’Union française des industries pétrolières.
La France dispose de 115 jours de réserve de carburant (trois mois de stock stratégique, et deux ou trois semaines de réserve commerciale), selon le gouvernement, qui affirme que seuls 3 jours ont été débloqués pour l’instant.
Selon l’UFIP, sur les huit raffineries françaises, seules quatre (Gonfreville, Donges, Feyzin et Grandpuits) sont à l’arrêt complet, deux tournent en débit réduit (La Mède et Lavera) et deux fonctionnent mais sont bloquées au niveau des accès. Selon la complexité des unités, il faut entre trois et cinq jours pour mettre une raffinerie à l’arrêt total, et autant pour la redémarrer. Même en cas de sortie de crise, le retour à la production normale ne sera pas immédiat.
5. Que représente la CGT en France ?
La Confédération générale des travailleurs (CGT) est le premier syndicat de France, selon les mesures d’audience de la représentativité syndicale réalisée en 2013. Avec 26,77 % de suffrages exprimés (sur 5 millions de salariés votants), la CGT devance d’une très courte tête la CFDT, syndicat réformiste, qui obtient 26 % des voix. Elle est donc un interlocuteur majeur dans les relations sociales.
Philippe Martinez, leader de la CGT, se vante que son syndicat compte « plus d’adhérents que l’ensemble des partis réunis ». Avec près de 700 000 membres, contre 180 000 pour Les Républicains et 130 000 pour le Parti socialiste, il a raison – même si s’affilier à un syndicat et à un parti ne relèvent pas de la même démarche et n’ont pas le même intérêt.
Cela n’empêche pas qu’en France, le taux de syndication est particulièrement faible, 7,7 % des salariés en 2012, selon l’OCDE et 11 % selon une étude du ministère du travail, avec un grand décalage entre le secteur public (20 % de syndiqués) et privé (9 %).
Selon ses propres chiffres publiés lors de son dernier congrès, en avril, à Marseille, la CGT syndique 2,86 % des salariés.
6. La CGT est-elle vraiment « d’extrême gauche » ?
L’accusation est récurrente. Issue du communisme, la CGT est considérée comme la centrale syndicale la plus « contestataire » parmi les syndicats « représentatifs de droit » (CGT, FO, CFDT, CFE-CGC, CFTC), qui siègent dans les instances du paritarisme. Néanmoins, le syndicat a rompu peu à peu ses attaches avec le parti communiste, et tenté plusieurs aggiornamentos.
En termes de « virulence » dans ses revendications et ses actions, la CGT est désormais souvent devancée, notamment par la coopérative SUD. En outre, lors des manifestations contre la loi travail, le service d’ordre de la CGT a été plusieurs fois conspué par les manifestants d’extrême gauche (autonomistes, anarchistes, etc.) qui le jugent complice de la police. Elle reste cependant un syndicat qui a une action d’opposition et de revendication, et se distingue en cela à la CFDT, qui cherche plus souvent des compromis ou une « cogestion » avec le gouvernement et qui prend donc des positions moins tranchées.
7. Cheminots et RATP sont-ils concernés par la loi travail ?
La question nous a été posée plusieurs fois dans notre suivi en direct et montre la confusion existant sur le statut de cheminot. La SNCF comme la RATP sont des entreprises publiques, précisément des établissements à caractère industriel et commercial. Leurs employés ne sont donc pas fonctionnaires, mais bien salariés soumis au droit privé, même s’ils ont quelques avantages statutaires (retraites, licenciements…). Les cheminots comme les agents de la RATP sont donc soumis au droit du travail et à ses modifications éventuelles, comme les autres salariés.