La grande soprano américaine Phyllis Curtin s’est éteinte, le 5 juin 2016, à l’âge de 94 ans. | DR

En 1998, nous avions rencontré Phyllis Curtin, à Tanglewood, le festival d’été où se tient chaque été, aux Etats-Unis, la résidence de l’Orchestre symphonique de Boston, complétée par une riche série de classes de maîtres. La soprano américaine connaissait parfaitement les lieux et la petite maison au milieu d’un beau parc dans laquelle elle donnait ses cours estivaux. « J’étais déjà ici en 1946 pour la création américaine de Peter Grimes, de Benjamin Britten ! » nous avait dit, en riant, cette belle et élégante femme dont seuls les doigts perclus de rhumatismes trahissaient l’âge. Pendant l’été 2015, un an avant sa mort – le 5 juin, à Great Barrington (Massachusetts), à l’âge de 94 ans –, elle y enseignait encore, transmettant un exemplaire art du chant et de sa technique.

Née le 3 décembre 1921 à Clarksburg (Virginie-Occidentale), Phyllis Curtin était inconnue en France où elle ne s’était produite qu’une fois, avec le musicien de jazz d’avant-garde Gunther Schuller (1925-2015) : « Un programme impossible de musique contemporaine, avec deux cents personnes dans la salle. […] Et pourtant, le français est la langue que je préfère chanter » nous avait-elle confié.

Des études de sciences politiques

En Amérique du Nord, sa réputation tenait surtout à sa présence fréquente auprès des compositeurs contemporains, dont elle créa souvent les œuvres, des mélodies avec piano en particulier. Elle donnera des récitals avec les compositeurs Aaron Copland et Ned Rorem, dont elle a chanté et enregistré beaucoup de pages. La firme VAI a publié un disque compact consacré aux Douze poèmes d’Emily Dickinson du premier et au Cycle de mélodies sacrées du second, avec les compositeurs au piano.

Après des études de sciences politiques, Phyllis Curtin ne se dédie sérieusement au chant qu’à l’âge de 22 ans. Elle pensait ne se consacrer qu’au concert mais c’est à Tanglewood, où elle est encore étudiante, en 1946, qu’elle incarne sur scène un petit rôle dans Peter Grimes, de Britten, sous la direction de Leonard Bernstein. Elle se produit ensuite dans une compagnie lyrique de Boston, donne son premier récital à New York en 1950 et débute au New York City Opera (NYCO), en 1953, dans la création du Procès, un opéra de Gottfried von Einem (1918-1996) d’après l’œuvre de Kafka.

NEA Opera Honors: Phyllis Curtin on Carlisle Floyd
Durée : 15:00

Premier triomphe à la scène en 1956

Son premier triomphe à la scène se produit en 1956, toujours au NYCO, lors de l’exécution d’une autre œuvre contemporaine, la Susannah, de Carlisle Floyd (né en 1926), qu’elle avait créée un an plus tôt à l’Université d’Etat de Floride. Cette merveilleuse œuvre – dont le langage s’inspire de la musique populaire des Appalaches et le thème du maccarthysme ambiant – deviendra l’un des maillons essentiels du répertoire lyrique nord-américain (c’est, après Porgy and Bess, de George Gershwin, l’opéra américain le plus joué). Il en existe un enregistrement, avec Phyllis Curtin, effectué en 1962, publié par la firme VAI.

Au NYCO, Phyllis Curtin chantera aussi Pelléas et Mélisande, de Claude Debussy, La Chauve-souris, de Johann Strauss, les opéras de Mozart, La Traviata, de Verdi, et Salomé, de Richard Strauss. Elle se produira peu sur la scène de la maison concurrente, le prestigieux Metropolitan Opera, où le patron des lieux, le redoutable Rudolph Bing (connu pour ses démêlés avec Maria Callas), n’était pas son meilleur soutien.

« Un coup de poignard dans le dos »

Elle cesse également ses relations professionnelles avec le NYCO quand sa consœur Beverly Sills (1929-2007) lui vole le rôle de Cléopâtre dans Jules César, de Haendel. « Mademoiselle Sills, âgée d’une trentaine d’années et une habituée elle aussi de la scène du NYCO, quoique pas encore la grande vedette qu’elle allait être, réclama qu’on lui confie le rôle, écrit le New York Times du 6 juin. Elle menaça de louer Carnegie Hall et d’y donner un récital d’airs extraits du même opéra si le NYCO ne répondait pas à sa demande. » Sills fut préférée à Curtin, ce que cette dernière considéra comme « un coup de poignard dans le dos », ainsi qu’elle le dira au quotidien américain en 1972.

Grâce à une voix riche et pure, soutenue par une impeccable technique, Phyllis Curtin continuera de chanter jusqu’en 1984. Puis elle se consacrera à l’enseignement, notamment à Tanglewood, pendant 51 ans.

Peu enregistrée par les grandes maisons de disques (on signalera cependant un formidable récital de mélodies latino-américaines paru chez Vanguard Classics, en 1964), Phyllis Curtin restera une chanteuse pour connaisseurs, qui admiraient sa subtilité musicale. VAI a publié une série de disques et de DVD d’archives au cours des années quatre-vingt-dix, dont un récital d’arias d’opéra (Mozart, Verdi, Puccini, Strauss et un air de la Susannah de Floyd) et des albums de mélodies et lieders. « Mon mari, aujourd’hui disparu, enregistrait tout ou se procurait des copies de mes représentations et concerts. Cela dormait dans des caisses dans le garage de ma maison Nous avons rouvert tout cela », nous avait-elle confié en 1998.

Phyllis Curtin en quelques dates

1921
Naissance à Clarksburg (Virginie-Occidentale)

1946
Création américaine de Peter Grimes, de Benjamin Britten

1955
Création de Susannah, de Carlisle Floyd

1984
Cesse sa carrière

2016
Mort à Great Barrington (Massachusetts)