« Ne privons pas les internautes français d’informations légales »
« Ne privons pas les internautes français d’informations légales »
Si le droit à l’oubli doit légitiment conduire au déférencement d’informations dans le pays concerné, son extension à l’ensemble du monde qu’exige aujourd’hui la CNILest abusive, estime Kent Walker, vice-président de Google.
Par Kent Walker, vice-président senior et directeur juridique de Google
Depuis maintenant plusieurs siècles, il est juridiquement admis qu’un pays ne peut imposer sa législation aux citoyens d’un autre pays. Une information jugée illégale dans un pays peut donc s’avérer licite dans d’autres : la Thaïlande proscrit les insultes à l’encontre de son roi, le Brésil interdit à tout candidat politique de dénigrer ses concurrents, la Turquie prohibe tout discours portant atteinte à Ataturk ou à la nation. De tel propos sont pourtant autorisés partout ailleurs. En tant qu’entreprise présente dans des dizaines de pays, nous veillons à respecter au mieux ces différences.
En mars 2016, la CNIL, l’autorité française de protection des données personnelles, a considéré que le droit à l’oubli devait s’appliquer non seulement sur le territoire français, mais également dans tous les autres pays du monde.
Le droit à l’oubli - plus précisément, le droit d’être déréférencé des résultats de recherche - est né en 2014 d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Il permet aux citoyens européens de demander aux moteurs de recherche le déréférencement de certains liens apparaissant lors d’une recherche sur leur nom. Tel est le cas même lorsque ces liens renvoient vers une information vérifiée, publiée dans le respect du droit, dans des articles de presse ou même sur des sites gouvernementaux.
Google respecte la décision de la Cour européenne dans tous les pays de l’Union européenne conformément aux critères définis par la Cour (le contenu doit être jugé inadéquat, non ou plus pertinent, excessif et ne doit pas relever de l’intérêt public). Elle prend aussi en compte les consignes formulées par les autorités et les tribunaux de différents pays, afin de tenir compte des nuances en matière de protection des données. En Europe, nous avons désormais revu un million et demi de pages web et accepté près de 40 % des demandes qui nous ont été soumises. En France uniquement, nous avons examiné plus de 300 000 pages web et retiré environ la moitié d’entre elles.
Prenant en compte l’avis de plusieurs régulateurs européens, nous avons récemment décidé d’aller plus loin : Les liens déréférencés sont désormais invisibles aux internautes situés dans le pays dont émane la demande, quelle que soit la version du moteur Google qu’ils utilisent. Ceci s’ajoute au retrait déjà effectué sur tous les domaines européens du moteur. En d’autres termes, un internaute situé en France n’aura plus accès, depuis le moteur de recherche, à des liens renvoyant vers un contenu retiré sur le fondement du droit à l’oubli. Un autre internaute effectuant la même recherche depuis un pays hors de l’Union européenne, sur sa version locale pourra voir ces liens.
Demande excessive
Mais la CNIL exige que nous fassions encore davantage. Elle nous demande d’appliquer le droit à l’oubli à toutes les versions de notre moteur de recherche et à tous nos utilisateurs dans le monde. Cette exigence conduirait au retrait de liens vers du contenu tout à fait légal, de l’Australie (google.com.au) au Zimbabwe (google.co.zm) et partout ailleurs dans le monde.
Cette demande nous paraît excessive, du point de vue du droit comme des principes. Nous respectons les règles de tous les pays où nous sommes présents. Cependant, si nous devions appliquer la loi française partout dans le monde, combien de temps faudrait-t-il avant que d’autres pays - peut être moins libres et démocratiques - exigent à leur tour que leurs lois régulant l’information jouissent d’un périmètre mondial ? Ces demandes, si elles se multipliaient, aboutiraient sous peu à ce que des internautes français se voient privés d’informations parfaitement légales en France, au nom d’une loi étrangère. Il ne s’agit pas d’une hypothèse fantaisiste. Des autorités nationales nous ont déjà demandé, pour divers motifs, de retirer mondialement des contenus - et nous avons refusé, même lorsque cela a entraîné le blocage de nos services par ces autorités.
Au nom du respect de ce principe essentiel du droit international, nous avons décidé de faire appel de la décision de la CNIL devant le Conseil d’Etat. Nous formons l’espoir que soit confirmé le droit de chaque citoyen à accéder, dans son pays, à des informations licites.