Réfugiés : et si on cohabitait ?
Réfugiés : et si on cohabitait ?
Nous publions ce reportage d’une étudiante en journalisme, primé par le prix HCR- « Le Monde » 2016. Il raconte l’émergence, à Brême, d’une vraie politique d’intégration.
Du coin de la rue de Neustadt aux salles d’enseignements de l’Université, des autocollants «Refugees Welcome» | Sophie Hériaud
Le jury 2016 du concours organisé par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et Le Monde, qui portait cette année sur le thème « Des nouveaux voisins : regards croisés sur l’accueil des réfugiés », a été décerné à Sophie Heriaud, étudiante à l’IUT de journalisme de Lannion (Côtes-d’Armor). Il s’agissait de la neuvième édition de ce concours, qui récompense un article écrit par un ou une étudiant(e) en journalisme en fin d’études.
Sophie Heriaud s’est rendue à Brême, au nord-ouest de l’Allemagne, après que les élections régionales de mars ont fait émerger une forte opinion antiréfugié, moteur d’une impressionnante percée de l’extrême droite. Pourtant, dans cette ville, habitants et réfugiés cohabitent depuis le début de la crise migratoire de 2011. Nous publions ces regards croisés à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, lundi 20 juin.
Le Land de Brême, le plus petit d’Allemagne, compte 650 000 habitants. Aujourd’hui, il faut y ajouter 10 000 migrants syriens, afghans, érythréens, égyptiens… les nouveaux réfugiés des instabilités régionales. La ville de Brême y demeure la plus impactée avec officiellement 8 000 nouveaux arrivants. « On ne peut pas ignorer ces personnes, il faut les aider. Ce n’est pas leur choix d’être ici », souligne Jan Dellwisch, un des 50 membres de l’organisation Help A Refugee. Chaque mercredi, après son travail, ce citoyen ordinaire retrouve les autres bénévoles de l’association brêmoise. Ensemble, pendant deux heures, dans un local prêté par l’église du quartier du Schnoor, ils reçoivent, autour d’un goûter, des centaines de réfugiés. « Nous leur proposons une aide administrative, des cours d’allemand et essayons de réunir des familles séparées par la guerre. C’est surtout un moment de partage ».
Munich, Hambourg, Berlin, et maintenant Brême. Comme Mohammed Moalem, lorsque les réfugiés arrivent en Allemagne, ils sont transférés et répartis entre les Etat-Régions allemands, d’après la loi Königsteiner Schlüssel de 1949. A 34 ans, ce Syrien se sent enfin chez lui, au sein de la ville hanséatique. « Dans la capitale, les gens nous regardaient mal. Ici, nous recevons un très bon accueil. Nous sommes chanceux », explique cet habitant de Damas. Actuellement, il partage une chambre avec son cousin et cinq autres réfugiés, au sein du camp de Neustadt, une ancienne usine reconditionnée. L’habitat demeure spartiate, un lit et une petite penderie pour chacun.
Brême ville ouverte
De ces passés sacrifiés, il ne leur reste qu’un sac et des souvenirs pleins la tête. L’intégration, ils la souhaitent tous. « Nous attendons avec impatience de commencer les cours d’allemand pour pouvoir ensuite travailler. Avant, je vendais des bijoux 14 heures par jour, six jours sur sept. Ici je m’ennuie, nous n’avons rien à faire », se désole Mohammed Moalem, en rangeant son peu d’affaires dans sa penderie. D’autres, comme Hesham Abazid, 26 ans et son petit frère, résident à Brême depuis plus de huit mois. Désormais, l’allemand leur est familier et ils n’hésitent pas à aider. « Nous sommes traducteurs entre les nouveaux réfugiés, qui parlent seulement arabe, et les allemands des associations. C’est plus facile pour la partie administrative », sourit ce jeune syrien de 26 ans. Les rôles se sont ainsi inversés. Aujourd’hui, ils ont un logement. Toute la famille est désormais réunie à Brême et ils continuent de suivre des cours d’allemand pour retrouver les bancs universitaires, à la rentrée prochaine, afin de compléter leur cursus inachevé du fait de la guerre.
A Brême, des cours pour maîtriser la langue de Goethe sont spécialement mis en place pour les réfugiés. Des lieux d’enseignements bondés, comme les logements. La municipalité l’assume. « Nous n’étions pas prêts à recevoir tant de monde. Nous essayons, au moins de leur apporter un certain confort », explique simplement Bernd Schneider, attaché de presse de la députée de l’Immigration. Pour subvenir aux besoins, des emplacements inhabituels ont été trouvés pour installer des camps : des églises, d’anciens conteneurs et des usines reconditionnées.
Dans la ville du nord-ouest, une vraie politique d’intégration émerge. De l’association sportive à l’association étudiante, toutes tentent de redonner une vie normale à leurs nouveaux voisins. A l’université de Brême, par exemple, le groupe AG refugees welcome an der Uni Bremen’(Bienvenue aux réfugiés à l’université de Brême) en a fait son credo. Il s’adresse aux adolescents en leur proposant des cours d’allemand, de sport et organise des soirées sur le thème de l’échange. « Généralement les jeunes de Brême s’investissent dans cette cause. Nous essayons d’accueillir convenablement les réfugiés », explique, avec fierté, Generic Figaro, membre de l’association. Chaque citoyen essaye d’intégrer à son échelle les migrants. Même si le chemin n’est pas terminé, avec l’arrivée en avril de 182 nouveaux réfugiés, Brême ne cesse de montrer l’exemple en s’ouvrant vers ses nouveaux citoyens. Jan Dellwisch et les membres des associations « auront juste à faire un peu plus de café »… Aux saveurs d’intégration.