Somalie : les obstacles s’accumulent sur la route des élections
Somalie : les obstacles s’accumulent sur la route des élections
Par Vincent Defait (contributeur Le Monde Afrique, Addis Abeba)
Censées organiser des élections en août, les autorités somaliennes en fin de mandat tergiversent, au grand dam de la communauté internationale.
Les élections en Somalie auront-elles lieu en août, comme prévu ? Jeudi 19 mai, la délégation du Conseil de sécurité des Nations unies est repartie de Mogadiscio sans obtenir de réponse. Mi-2015, Hassan Sheikh Mohamud, élu en 2012 président d’un Etat croupion, avait prévenu : les conditions sécuritaires et politiques rendent impossible la tenue d’une élection permettant aux 10 millions de Somaliens de participer au scrutin.
Le gouvernement propose à la place la formation d’un collègue de grands électeurs, choisis par les leaders claniques. Sans garantie de succès. Pourquoi la Somalie, dont on dit qu’elle va mieux, risque de ne pas organiser d’élections à temps ?
Introuvable processus électoral
En Somalie, la politique emprunte souvent des routes tortueuses. En 2012, la communauté internationale a jeté son dévolu sur Hassan Sheikh Mohamud, en espérant qu’il se démarque des précédents gouvernements de transition, corrompus et inefficaces. De nombreux pays – Etats-Unis, Royaume-Uni, Turquie, Chine… – ont rouvert des ambassades à Mogadiscio. Ils y croyaient. L’année suivante, un rapport des Nations unies déplorait que « malgré le changement de leadership à Mogadiscio, le détournement de ressources publiques continue, en ligne avec les pratiques du passé ».
A quelques mois de la fin de son mandat, en août, le président étrenne son troisième chef de gouvernement. L’an dernier, le parlement a tenté de le destituer, en avançant des accusations de corruption. Il y a quelques jours, les partenaires régionaux et internationaux – de l’ONU à l’Ethiopie, en passant par le Royaume-Uni et les Etats-Unis – ont exprimé leur « profonde inquiétude à propos du très long processus d’approbation du modèle électoral pour 2016 ». Le parlement venait d’examiner sans l’adopter le projet le processus électoral.
Le poids des clans
Rien ne se fait hors des clans. Institutionnaliser leur rôle dans la vie politique risquerait d’enfermer le pays dans une logique immuable, à laquelle les femmes ne prennent pas part. L’ignorer reviendrait de facto à tourner le dos à un pouvoir politique et économique. La feuille de route électorale propose ainsi, entre autres, l’allocation de 30 % des sièges régionaux à des femmes, ainsi qu’une formule « 4,5 » prévoyant le partage du pouvoir entre les quatre principaux clans et une coalition de clans plus modestes. L’équilibre est fragile.
Selon l’Heritage Institute for Policy Studies, un cercle de réflexion installé à Mogadiscio, le processus électoral proposé « n’améliore pas le processus démocratique de façon adéquate » et « pourrait déboucher sur des conflits sociaux, des institutions affaiblies et un accaparement injustifié du pouvoir ». Pour Matthew Rycroft, ambassadeur britannique auprès des Nations unies et présent à Mogadiscio cette semaine, « nous sommes loin du “une personne, une voix”, mais c’est un pont vers cela, et (les Somaliens) peuvent y parvenir en 2020 », date théorique du scrutin suivant.
L’établissement d’une fédération a débuté après l’élection de 2012. L’objectif est ambitieux mais « de façon importante menée de l’extérieur et du sommet vers la base », rappelait en 2015 un rapport de la Chatham House, un institut de recherche londonien. Des administrations régionales intérimaires (ARI) ont été mises en place, pavant la voie à leur transformation en Etats membres fédéraux. Mais nombre d’aspects restent à préciser, à commencer par le partage du pouvoir entre Mogadiscio et les capitales régionales. Délimiter les frontières n’est pas chose aisée, d’autant moins que les intérêts claniques font, de nouveau, surface.
La menace des Chabab
Là, les regards se tournent vers les Chabab, une milice islamiste affiliée à Al-Qaida qui agrège idéologues et paysans analphabètes. Pour lutter contre cette menace, l’Union africaine (UA) a créé en 2007 une mission militaire – l’Amisom – principalement financée par les Nations unies et l’Union européenne et composée aujourd’hui de 22 000 hommes : des Burundais, des Ethiopiens, des Kenyans, des Djiboutiens et des Ougandais, dont les états-majors peinent – ou refusent – à se coordonner.
Surtout, l’Amisom, trop étirée sur le territoire et de fait très exposée aux Chabab, doit composer avec l’indigence de l’armée nationale somalienne. Celle-ci reste faible, trop peu équipée et composée de trop peu d’hommes intéressés à servir un Etat quasi inexistant. « Le problème est qu’il y a trop d’attente de l’extérieur et pas assez de leadership somalien », résume un bon connaisseur du sujet, proche de l’UA. A la menace Chabab s’ajoutent les conflits interclans, sans doute tout aussi compromettant pour la stabilité du pays.
Et si les Somaliens connaissaient le même sort qu’en 2011, lors qu’une famine a causé 260 000 morts et jeté sur les routes de dizaines de milliers de personnes ? En 2016, près de 40 % de la population, soit 4,7 millions de personnes, ont besoin d’une aide humanitaire. Une situation extrême provoquée par l’actuelle sécheresse qui affecte la corne de l’Afrique… et les raisons politiques évoquées ci-dessus. De quoi compromettre les maigres avancées politiques et institutionnelles des dernières années.