Une petite histoire du jeu vidéo africain
Une petite histoire du jeu vidéo africain
Par William Audureau
Ubisoft a annoncé la fermeture d’Ubisoft Casablanca, le plus vieux studio d’Afrique du Nord, mais pas le plus ancien du continent. Rétrospective.
« Aurion », jeu camerounais de 2016. | Madiba Olivier
Ubisoft a annoncé la fermeture d’Ubisoft Casablanca, le plus vieux studio africain en activité, après dix-huit ans de production ininterrompue. Ce n’était toutefois pas le premier studio du continent, et à une échelle moindre, d’autres tentent de prendre le relais. Rétrospective.
- 1994, l’Afrique du Sud pionnière
« Toxic Bunny ». | Celestial Games
Le marché de l’ordinateur est alors en pleine standardisation autour du système d’exploitation Windows de Microsoft, et une bande de férus d’informatique fonde en 1994 Celestial Games, le premier studio indépendant d’Afrique. Leur premier jeu, Toxic Bunny, sort en 1996 et se vend à 7000 unités localement, puis à 150 000 après sa sortie en Pologne, en France et aux Pays-Bas, selon le site du studio, dissous en 2001 et reformé en 2007.
- 1998, le début de l’aventure d’Ubisoft Casablanca
« Donald Duck Couac Attack ». | Ubisoft
L’économie marocaine se développe, le pays est francophone, et ses salaires compétitifs... En 1998, trois ans après avoir ouvert une première antenne étrangère en Roumanie, puis deux autres à Shanghaï et Montréal, Ubisoft s’implante à Casablanca. Il a donné naissance ou participé à 28 projets, de la simulation automobile (F1 Racing, sa première réalisation) aux jeux de plateforme colorés (Donald Duck Couac Attack, Rayman Legends, Rayman Fiesta Run...) en passant par de la sous-traitance sur les blockbusters de l’éditeur (Beyond Good & Evil, Prince of Persia : L’âme du guerrier). Sans toutefois jamais avoir pu en diriger un, comme le raconte Jeune-Afrique. Le directeur artistique du premier Assassin’s Creed est un transfuge d’Ubisoft Casablanca.
- 2002, premières pierres de l’univers camerounais d’Aurion
« Aurion : L’héritage des Kori-Odan ». | Madiba Olivier
Plutôt que de mettre leur talent au service de productions mondialisées, certains développeurs ont tenté d’utiliser le jeu vidéo comme vecteur de transmission de contes et de folklore locaux. C’est notamment le pari entrepris dès 2002 par Madiba Olivier, un étudiant camourenais, qui planche sur un projet au long cours de jeu d’action et de rôle à la japonaise, mais imprégné de mythologie africaine. Quatorze ans après ses débuts artisanaux et de nombreuses versions intermédiaires, Aurion : L’héritage des Kori-Odan voit finalement le jour en avril 2016 sur le marché international, via la plateforme Steam.
- 2007, le Tomb Raider kenyan
« Adventures of Nyangi ». | Wesley Kirinya
Démarche similaire chez Wesley Kirinya, un développeur kenyan qui se met en tête d’adapter la formule de Tomb Raider, mélange d’aventure, d’exploration et d’acrobaties, en mettant en scène une héroïne africaine qui fera voyager le joueur à travers le continent durant dix niveaux. Premier jeu indépendant africain en 3D, Adventures of Nyangi voit finalement le jour en 2013, grâce à une collaboration régionale entre des artistes kenyans, nigérians et ghanéens, relate le site Polygon.
- 2013, l’exemple des Cyan Girls sénégalaises
« Da’karapid ». | Cyan Girls
Elles sont trois, issues de l’Ecole polytechnique de Dakar, et en donnant naissance à Dakar Madness, les fondatrices de Cyan Girls ont développé le tout premier jeu vidéo sénégalais. Leur savoir-faire leur avait déjà valu d’arriver en 2011 en finale de l’Imagine Cup, un concours technologique international organisé par Microsoft. Elles ont depuis fondé Jjiguene Tech, un hub pour les femmes sénégalaises travaillant dans la technologie. Quant au jeu, s’il n’a pas été commercialisé, d’autres ont vu le jour depuis et fait sensation dans le pays, comme Da’karapid (photo), sur mobile, début 2016.
- 2014, les dames malgaches sur mobile
« e-Fanorona ». | Nelli Studio
Même dans les pays d’Afrique les plus touchés par l’instabilité politique et les problèmes d’infrastructure, l’explosion du jeu mobile et de la dématérialisation a permis à plusieurs projets de voir le jour. A Madagascar, l’entreprise Nelli Studio a ainsi lancé e-Fanorona, version numérique d’un jeu de plateau malgache ancestral, proche des dames, mais dans lequel il faut reculer pour capturer une pièce. Disponible sur iPhone et AppStore, il est apparu lors de plusieurs salons consacrés aux jeux mathématiques en France.
- 2016, Cross Dakar City, la sensibilisation par le jeu
« Cross Dakar City ». | Ousseynou Khadim Bèye
A l’image du reste du monde, le jeu vidéo africain s’empare de problématiques sociétales. Ainsi de Cross Dakar City, un jeu mobile sénégalais lancé en avril dernier. Il met en scène Mamadou, un enfant mendiant abandonné, ou talibé, que le joueur doit guider jusqu’à ses parents biologiques. « Victimes de violences en tout genre, [les talibés] vivent dans des conditions terribles : logés en surnombre, ils n’ont bien souvent accès ni à l’eau ni à l’électricité et sont mal nourris », alerte son développeur Ousseynou Khadim Bèye, ingénieur de l’Ecole Polytechnique de Dakar et de l’Ecole généraliste de Lyon. Ce jeu de sensibilisation a été téléchargé plus de 26 000 fois, dont 20 % du trafic hors Sénégal - indice d’une production méconnue, mais de plus en plus variée.