« Brexit » : comment David Cameron s’est laissé prendre à son propre piège
« Brexit » : comment David Cameron s’est laissé prendre à son propre piège
Par Maxime Vaudano
Le premier ministre britannique doit la fin de son mandat à un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne qu’il avait lui-même organisé.
Le premier ministre britannique David Cameron en campagne pour le « Remain », à Birmingham, le 22 juin. | GEOFF CADDICK / AP
Terrassé par le vote franc des Britanniques en faveur du « Brexit », David Cameron quittera donc son poste de premier ministre à l’automne. Mais comment celui-là même qui a pris l’initiative d’organiser un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne (UE) s’est-il retrouvé à faire campagne pour le « remain » et à la perdre – sacrifiant sa tête au passage ?
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Acte I : la « trahison » du traité de Lisbonne
L’histoire commence, en un sens, en 2009. David Cameron n’est pas encore premier ministre, mais chef de l’opposition conservatrice. Le gouvernement travailliste de Gordon Brown vient d’approuver par la voie parlementaire le traité de Lisbonne, ersatz du défunt traité constitutionnel européen. M. Cameron, qui avait plaidé en vain pour consulter les Britanniques par référendum sur ce texte, fait une promesse : « Il ne sera plus jamais possible pour un gouvernement britannique de transférer davantage de pouvoirs à l’Union européenne sans que le peuple britannique ait son mot à dire par la voie d’un référendum. »
Le thème de la « trahison » des travaillistes émaille la campagne victorieuse qui le porte au pouvoir, le 11 mai 2010.
Acte II : la pression des eurosceptiques
Au 10, Downing Street, David Cameron est mis sous pression par son propre camp, de plus en plus eurosceptique. A la suite d’une pétition signée par 100 000 Britanniques, la Chambre des communes se prononce en octobre 2011 sur la possibilité d’un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne. Le résultat du vote est nettement négatif, mais 81 parlementaires conservateurs « rebelles » votent pour le référendum, contre l’avis du gouvernement.
En juin 2012, alors que l’UE esquisse un nouveau saut dans son intégration pour faire face à la crise de la zone euro, David Cameron martèle que l’heure n’est pas au référendum : en « eurosceptique pragmatique », il souhaite d’abord proposer des « changements » dans la relation du Royaume-Uni avec l’UE, pour que les électeurs britanniques puissent, in fine, faire un « vrai choix ».
Dès l’automne 2012, alors que la progression du Parti de l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) dans les sondages menace son parti, le premier ministre commence à distiller l’idée qu’un référendum pourrait avoir lieu après les prochaines élections. Ce qu’il transforme en promesse électorale en janvier 2013 : si les conservateurs remportent le prochain scrutin et qu’il est reconduit, M. Cameron entamera une renégociation des termes de l’appartenance européenne du Royaume-Uni, avant de proposer en 2017 un « choix simple » aux Britanniques : rester ou partir.
Acte III : le compte à rebours engagé
Les élections générales n’ont lieu que deux ans plus tard, mais David Cameron est piégé dans sa promesse. Réélu triomphalement le 8 mai 2015, il engage immédiatement le processus d’organisation du référendum, qui doit avoir lieu en juin.
Commence alors pour lui un compte à rebours dangereux : il a un an pour renégocier auprès de ses partenaires européens les termes du contrat qui lie les Britanniques à l’UE.
Acte IV : Brexit et Cameronexit
Le 19 février, après trente heures de négociation, le premier ministre britannique arrache à ses homologues européens un « accord anti-Brexit ». Ce qu’il présente comme un « statut spécial » n’est que le prolongement des exceptions dont jouit déjà le Royaume-Uni depuis des années : à part la possibilité de limiter les aides sociales attribuées aux immigrés issus de l’UE, David Cameron n’a guère obtenu que l’assurance que le Royaume-Uni pourra rester à l’écart de toutes les prochaines réformes du fonctionnement de l’Union.
Le chef de file des conservateurs s’engage alors sur la corde raide, en tentant de convaincre les Britanniques de voter pour le « maintien », car ce compromis est satisfaisant, tout en proclamant qu’il « n’aime pas Bruxelles ». Incapable de livrer un véritable plaidoyer pour l’Europe, il ne peut empêcher sa majorité conservatrice de se déchirer entre le « Remain » et le « Leave » et garde au sein de son gouvernement cinq ministres « rebelles » qui font campagne pour le Brexit.
Malgré le meurtre de la députée proeuropéenne Jo Cox à une semaine du scrutin, qui frappe le Royaume-Uni de stupeur et semble un temps pouvoir renverser la vapeur, le couperet tombe dans la nuit du 23 au 24 juin : le « Brexit » l’emporte avec 51,9 % des voix. « Lucky Dave » a perdu son pari.
Dans la matinée, sur le perron du 10, Downing Street, David Cameron reconnaît sa défaite : « Je ne crois pas qu’il serait bon pour moi que je sois le capitaine qui dirige le pays vers sa prochaine destination. » Il annonce son intention de quitter le pouvoir sous trois mois, laissant à son successeur la charge d’engager officiellement le processus de désengagement du Royaume-Uni de l’UE.