Le « Brexit » affaiblit davantage la politique climatique de l’Europe
Le « Brexit » affaiblit davantage la politique climatique de l’Europe
Par Pierre Le Hir
Le rejet de l’Union européenne par les Britanniques va réduire son poids dans les négociations internationales et risque de retarder sa ratification de l’accord de Paris.
Au dernier jour de la COP21, au Bourget, le 12 décembre 2015. | FRANCOIS GUILLOT/AFP
Le climat, l’énergie et l’environnement n’ont pas fait partie des préoccupations mises en avant par les pro ou les anti-« Brexit » , qui ont ferraillé sur la « bureaucratie » bruxelloise, la souveraineté nationale ou les migrants. Il s’agit pourtant d’enjeux essentiels, sur lesquels le choix des Britanniques de tourner le dos à l’Union européenne (UE) est susceptible d’avoir un impact majeur.
S’il est trop tôt pour l’anticiper, tant les modalités de la mise en œuvre du « Brexit » restent incertaines et confuses, cette sécession ne peut qu’affaiblir la politique communautaire en matière de climat. Et compliquer encore – voire retarder – la ratification par l’UE de l’accord de Paris issu de la COP21.
Dans l’immédiat, le « Brexit » n’est pas synonyme de sortie de l’UE. Celle-ci ne deviendra inéluctable que lorsque Londres aura activé la « clause de retrait » prévue par l’article 50 du traité de Lisbonne, ce que les dirigeants britanniques ne semblent guère pressés de faire. Encore la procédure pourra-t-elle s’étaler sur deux ans, et s’accompagner de la négociation d’autres formes d’association à l’espace européen. Pour les accords ou traités multilatéraux en vigueur engageant l’UE, rien ne change donc pour l’instant, du moins formellement.
Qu’en serait-il une fois enclenchée la procédure de sortie du Royaume-Uni du périmètre de l’UE ? La question se pose au premier chef pour l’accord de Paris sur le climat. Celui-ci ne sera évidemment pas remis en cause. Adopté par consensus le 12 décembre 2015, au terme de la COP21, par les 195 pays membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, cet accord a été ensuite été signé, le 22 avril à New York, par 175 pays, dont les 28 Etats membres de l’UE, et par celle-ci en tant que telle. Mais pour entrer en vigueur, il doit maintenant être ratifié par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Partage de l’effort
Du côté européen, l’accord requiert que l’UE en tant que telle et chacun de ses pays membres déposent conjointement leurs instruments de ratification (par exemple, dans le cas de la France, le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de Paris voté par l’Assemblée nationale le 17 mai, puis par le Sénat le 8 juin). Or, une ligne de fracture divise l’Europe.
Certains pays, dont l’Allemagne et le Royaume-Uni, veulent que soit tranchée au préalable la question de la répartition des efforts exigés de chaque Etat pour atteindre l’objectif collectif, négocié dans le cadre du « paquet climat-énergie » adopté en 2013, de réduction d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030, par rapport à 1990. Un autre groupe de pays, emmené par la France et comprenant l’Espagne, le Portugal, le Danemark ou le Luxembourg, pousse au contraire pour une ratification rapide, dissociée des discussions sur le partage de l’effort.
Le « Brexit » brouille encore davantage les cartes. Faut-il toujours – la sortie du Royaume-Uni de l’ensemble communautaire n’étant pas formellement engagée – viser une ratification par chacun des Vingt-Huit et par l’UE à 28 ? Ou plutôt – en anticipant cette sortie – prévoir une ratification à 27, le Royaume-Uni ratifiant l’accord de Paris de façon séparée ? A ce stade, les deux scénarios sont possibles.
Ce qui est sûr, c’est que le départ annoncé du Royaume-Uni risque de rendre encore plus ardues les négociations sur la répartition des efforts, jusqu’ici liée à la richesse par habitant de chaque nation. La Commission européenne devait faire des propositions sur ce sujet le 22 juillet. Mais, étant donné que le Royaume-Uni est à la fois la deuxième économie de l’Europe et le deuxième émetteur de gaz à effet de serre après l’Allemagne, il faudra sans doute revoir le calcul des quotes-parts. De surcroît, les instances européennes vont être plus occupées à démêler l’imbroglio du « Brexit » qu’à dénouer l’écheveau du paquet climat-énergie.
Rôle de figurant
Dans ce contexte, la ratification de l’accord de Paris par les Européens (à 28 ou à 27) risque de traîner encore en longueur. Avec le danger que le vieux continent se contente, dans la période à venir, d’un rôle de figurant sur la scène climatique mondiale.
Par une cocasserie de l’histoire, la démarche séparatiste des Britanniques pourrait paradoxalement accélérer l’entrée en vigueur de l’accord de Paris, s’ils se pressent de le ratifier. D’ores et déjà en effet, hors Europe, 18 pays ont déposé leur instrument de ratification et d’autres sont en passe de le faire. Il n’est donc pas exclu que les seuils de 55 pays et 55 % des émissions soient atteints d’ici à la COP22, du 7 au 18 novembre à Marrakech (Maroc), ou dans les mois qui suivront.
Si les trois géants que sont la Chine, les Etats-Unis et l’Inde, qui pèsent respectivement pour 23,2 %, 12,6 % et 6,3 % des émissions mondiales (chiffres de 2012), décidaient de ratifier rapidement le texte, il suffirait de quelques renforts pour réunir le quorum. Et le Royaume-Uni, avec 1,1 % des émissions mondiales, pourrait y contribuer. Il prendrait ainsi de court l’UE, reléguée à Marrakech au rang d’observateur d’un traité qui commencerait à s’appliquer avec lui, mais sans elle.
En tout état de cause, le poids de l’Europe dans les négociations internationales sur le climat risque de pâtir de sa désunion. Cela, alors que son influence a déjà fortement décru. Les Etats-Unis et la Chine sont désormais les deux principaux moteurs de la lutte contre le dérèglement climatique. Ce sont eux qui tirent aussi le marché des énergies renouvelables.
« La force diplomatique de l’Europe sur le climat en prend un coup, commente Célia Gautier, du Réseau action climat. Au niveau communautaire, il va être aussi beaucoup plus difficile de faire avancer des politiques énergétiques et climatiques ambitieuses. On ne peut pas lutter contre le changement climatique planétaire si chacun revient à ses préoccupations nationales à court terme. »
Porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot, Denis Voisin veut pourtant rester optimiste. « Le “Brexit”, espère-t-il, peut être l’occasion de repenser l’Europe et de lui donner un projet plus séduisant et plus inspirant pour les peuples qui la composent, en mettant notamment en avant les enjeux climatiques et environnementaux. »