Bernard Piccard a twitté sa traversée de l’Atlantique à bord du Solar Impulse 2. Un voyage de longue haleine qui s’est terminé le 23 juin à Séville (Espagne). | Jean Revillard / AP

Dans la catégorie des pionniers d’un futur plus respectueux de l’environnement, les suisses Bertrand Piccard, 58 ans, et son acolyte André Borschberg, 63 ans, viennent de remporter une victoire. « Le futur est propre et il commence maintenant ! », s’est exclamé le pilote Bertrand Piccard en faisant atterrir son avion solaire Solar Impulse 2 à Séville (Espagne), jeudi 23 juin, après une traversée de l’Atlantique inédite – pendant plus de 70 heures. Ce voyage était la 15e étape (sur 17) d’un tour du monde entamé le 9 mars 2015 et qui devrait se terminer début juillet à Abu Dhabi (Émirats arabes unis). Pour Bertrand Piccard – qui est médecin psychiatre, aéronaute et aviateur – il s’agit d’une « quête de sens » plus que de records.

6 272 km et un peu plus de 70 heures de vol au-dessus de l’océan Atlantique grâce à l’énergie solaire. Que représente cette performance inédite ?

C’était une expérience unique et un vol incroyable. Au départ de l’aventure Solar Impulse, il y avait le rêve de pouvoir voler continuellement, sans carburant et sans avoir besoin de ravitailler. Ce vol confirme que c’est possible, même s’il était loin d’être facile : pendant trois jours et trois nuits, j’ai été souvent confronté à de fortes turbulences. C’est un avion léger et de grande envergure (1,5 tonne pour la largeur d’un Boeing 747), qui vole grâce à ses 17 248 cellules solaires installées sur les ailes, et 630 kg de batteries. Du fait de son faible poids, il est très sensible aux mouvements.

J’ai suivi les trajectoires que m’indiquait le centre de contrôle de Monaco et son équipe de météorologues, mais les périodes de turbulences étaient impressionnantes. Etre à 8 000 mètres d’altitude et se battre pour maintenir l’avion à l’horizontale, c’est une expérience forte. Le premier jour, j’ai pris la mission en tant que pilote, le deuxième jour j’ai vu le lever du soleil au milieu de l’océan et je me suis dit que c’était magnifique. Le troisième jour, à l’approche des côtes européennes, je me suis rendu compte que ça allait marcher, que j’allais vraiment traverser l’océan Atlantique avec le Solar Impulse.

André Borschberg et Bertrand Piccard à l’arrivée du Solar Impulse à Séville, le 23 juin 2016. | CRISTINA QUICLER / AFP

Au-delà du défi que représente ce tour du monde, il y a un message concernant l’utilisation des énergies propres dans le futur. Voyagera-t-on un jour à bord d’avions solaires ?

Je serais fou de dire oui et idiot de dire non. Actuellement cette technologie solaire ne permet pas de transporter 200 personnes, mais lorsque l’aviateur américain Charles Lindbergh a traversé l’Atlantique en solitaire en 1927, c’était pour prouver que le trafic aérien avait un avenir. Le but de Solar Impulse, c’est avant tout de prôner et de développer l’utilisation des technologies propres : faire évoluer la mobilité électrique sur terre, puis dans les airs. Ce voyage en avion solaire, marquera j’espère, le début d’un nouveau cycle. D’ici une dizaine d’années, on pourra faire des vols moyens courriers à bord d’avions électriques. Sans bruit et sans pollution, ils pourront désormais atterrir en milieu urbain, ce qui permettra de doubler le trafic.

L’industrie aéronautique est-elle prête à prendre un tel tournant ?

Depuis 1957 et le Boeing 707, le monde aéronautique a fait beaucoup d’optimisation, mais très peu d’innovation. Quand j’ai présenté le projet de Solar Impulse, certaines entreprises m’ont dit que c’était impossible, d’autres que c’était carrément inutile. Je pense qu’aujourd’hui, si on veut de grandes innovations, elles doivent venir de l’extérieur du monde industriel.

A ce sujet, André Borschberg et vous avez annoncé la création d’un Comité international des technologies propres. Quel est son objectif ?

Ce comité va permettre à tous les petits acteurs du changement – les ONG, les associations, les petites entreprises de technologies propres – de pouvoir parler d’une seule voix. Tous ces acteurs réunis pourront développer la recherche technologique, mais aussi et surtout, conseiller les gouvernements. Il est important de prendre en compte la politique, la situation financière, la géolocalisation et le climat de chaque pays, pour développer des technologies adaptées. C’est l’objectif de ce Comité des technologies propres. A partir du moment où les compagnies aériennes vont comprendre qu’elles peuvent faire beaucoup de bénéfices avec des avions électriques, on aura du changement.

Vous avez tweeté votre survol de l’océan Atlantique, et l’avion est équipé de caméras en cabine, sur les ailes et la queue. C’est aussi une façon de communiquer sur les technologies propres et de toucher le grand public ?

Oui, il faut que les gens comprennent pourquoi on fait ça. Alors on utilise les réseaux sociaux pour partager cet esprit pionnier, dans le but de faire évoluer les pensées, et déclencher une prise de conscience. Twitter est une façon de toucher les gens, mais ils peuvent aussi suivre les trajets en direct sur le site du Solar Impulse.

Il faut montrer que ça marche, pour promouvoir les énergies propres. C’est symbolique quelque part, mais c’est une aventure qui a du sens : il faut trouver une solution pour faire de notre société une société propre.

Justement, quelle est votre vision de l’énergie du futur ?

Il est important de protéger l’environnement, mais sans nuire à la qualité de vie et au développement économique. Je ne crois pas à la décroissance, je pense juste que notre monde doit apprendre à fonctionner autrement. L’une des solutions demeure dans les technologies propres : c’est un marché fantastique, qui créé des emplois et des profits, car il ne comprend pas que la production d’énergie, mais l’ensemble des technologies innovantes.

On ne pourra peut-être jamais voyager en long courrier dans un avion électrique, mais ce ne serait pas une aberration si tous les moyens courriers sont propres. Le coût environnemental des longs courriers à carburant serait ainsi acceptable.

Quelle suite envisagez-vous pour Solar Impulse ?

Nous allons déjà terminer ce tour du monde ! Je vais laisser place à André Borschberg dans le cockpit monoplace, pour l’avant-dernière étape en Egypte, puis je volerai jusqu’à Abu Dhabi pour boucler la boucle. Ensuite, avec les 150 personnes du projet Solar Impulse, on aimerait développer cette technologie solaire pour permettre un temps de vol encore plus long.

André Borschberg a aussi l’idée de le transformer en satellite atmosphérique. Il servirait ainsi de relais de télécommunication. Mais le réel héritage de cette aventure, c’est avant tout le Comité international des énergies propres. On espère vraiment réussir à créer une prise de conscience, pour construire dans nos sociétés, une nouvelle relation à l’énergie.