Les recettes de la course à l’excellence des lycées franciliens
Les recettes de la course à l’excellence des lycées franciliens
Sitôt le brevet terminé, vendredi, la plate-forme Affelnet livrera son verdict en affectant les collégiens franciliens à un lycée. Tous sont censés être égaux. Mais certains le sont plus que d’autres. Comment font-ils ? Enquête.
Le lycée Henri-IV, à Paris, un des 46 établissements à afficher 100 % de réussite au bac en Ile-de-France. | CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS
A peine les épreuves du brevet des collèges terminées, vendredi 24 juin, les élèves de troisième d’Ile-de-France connaîtront les résultats d’une épreuve autrement plus stratégique pour certains : l’affectation en lycée pour les académies de Paris, Versailles et Créteil, déterminée par le logiciel Affelnet. Dans la constellation des bons lycées franciliens, 46 établissements ont en effet obtenu 100 % de réussite au baccalauréat en 2015. Parmi eux, certaines étoiles brillent encore plus que d’autres : Henri-IV, Saint-Louis-de-Gonzague, Stanislas, Louis-le-Grand… Dans ces établissements, les taux de mention « très bien » dépassent les 65 % et le baccalauréat n’est qu’un passage nécessaire avant une orientation que chacun espère prestigieuse.
Comment fabrique-t-on un très bon lycée, voire un lycée d’excellence ? Des proviseurs d’établissements très réputés, ou qui se distinguent, sur un critère au moins, dans le classement des lycées 2016 du Monde, et dans sa déclinaison régionale proposée au bas de cet article, partagent leurs « savoir-faire ».
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Domus omnibus una
Pour s’assurer d’avoir les meilleurs élèves le jour du bac, et obtenir ainsi les 100 % de réussite avec un maximum de mentions, certains établissements se contentent d’une recette simple : ne retenir que les mieux notés des collégiens en fin de troisième. Privés ou publics, ces lycées « tête de classement » sont ouvertement sélectifs. A commencer par l’un des plus célèbres d’entre eux, Henri-IV, dont la devise proclame pourtant Domus omnibus una, autrement dit « une maison pour tous ». Traduire : pour tous… les meilleurs élèves de la région.
Le fait d’être déjà collégien à Henri-IV « n’est pas un droit d’entrée au lycée », avertit Patrice Corre, proviseur de l’établissement, qui termine 9e de notre classement régional et 17e du classement des lycées du Monde, au niveau national, avec une note finale à peine moins élevée que les tout premiers. Pas de coupe-file pour intégrer ce prestigieux lycée du 5e arrondissement, mais une sélection qui se joue au milieu de l’enseignement secondaire.
L’aura de l’établissement suffit à dissuader ceux qui n’ont pas les meilleures notes de se présenter. Cette première auto sélection faite, sur 1 900 demandes en provenance de 200 collèges franciliens, seulement 270 seront retenues. Les meilleurs parmi les bons, « dont près de 15 % viennent de zone d’éducation prioritaire », insiste le proviseur, qui s’apprête à prendre sa retraite après 17 années de règne sur le prestigieux lycée (là aussi, Henri-IV déroge : en principe, un proviseur n’a pas le droit de passer plus de neuf ans à la tête du même lycée).
Pas de place pour les dilettantes parmi les plus réputés des établissements privés non plus où les élèves les moins performants sont invités à quitter le collège en fin de troisième. Saint-Louis-de-Gonzague, communément appelé Franklin, du nom de la rue du 16e arrondissement parisien où l’établissement est situé, compte six classes de troisième. L’année d’après, en seconde, elles ne sont plus que cinq. Dans l’intervalle, une trentaine de collégiens ont été priés de poursuivre leur éducation ailleurs. « Des élèves à bout de souffle », explique Laurent Poupart, proviseur. La devise ignacienne de cet établissement est « magis » : « davantage ». Un précepte sélectif parfaitement assumé par l’établissement, qui se poursuit tout au long du lycée, et contribue à l’obtention d’un taux de 100 % de réussite au bac. Du fait de cette sélection pratiquée à la fin de la seconde, l’établissement ne termine qu’à la 70e place de notre classement régional, qui prend en compte la capacité des lycées à accompagner tous leurs élèves de seconde jusqu’au bac.
Les enseignants sont également triés sur le volet. Au-delà des compétences académiques, Franklin exige de ses professeurs un « engagement, une disponibilité, une exigence avec eux-mêmes afin d’être en mesure d’être exigeants avec les élèves », précise Laurent Poupart. Même discours à Henri-IV : « Dans un environnement scolaire d’une grande exigence, chaque enseignant se donne au maximum. Les élèves sont à Henri-IV en demande de savoir, leur exigence est telle qu’un enseignant qui ne se donne pas à fond ne pourrait pas tenir. L’émulation vers l’excellence n’est pas une exigence venant du sommet auquel doivent se soumettre profs et élèves. Mais un contrat global, exigé par chacun des acteurs », analyse son proviseur.
L’excellence comme premier objectif
Dans ces lycées, dont le taux de mention très bien est stratosphérique, l’excellence n’est pas un mot tabou, mais un objectif commun de l’établissement, des élèves et leurs familles. « Exiger le meilleur de chacun n’est pas une décision autoritaire venue du sommet auquel doivent se soumettre professeurs et élèves. Mais un contrat global, exigé par chacun des acteurs », illustre Patrice Corre.
Nombre de très bons élèves candidatent et rejoignent ces lycées de première classe. Si bien que les équipes pédagogiques des établissements les plus prestigieux « laissent les dossiers les moins sûrs aux lycées de seconde zone. Ceux-là font également leur tri et laissent les derniers aux derniers lycées parisiens qui doivent gérer les élèves en difficultés, les agressifs, les décrocheurs et autres champions de l’absentéisme », témoigne un proviseur francilien.
D’autres établissements se distinguent par leur choix assumé d’accompagner le plus grand nombre d’élèves le plus loin possible. Le lycée Turgot, dans le 3e arrondissement de Paris, n’est pas parvenu au pourcentage idéal de 100 % de réussite en 2015. Mais il affiche fièrement son 98 % de réussite, car il dépasse tous ses homologues de plusieurs coudées quant à la capacité à tirer vers le haut la majorité des adolescents qui lui sont confiés. Sa valeur ajoutée, qui mesure la capacité d’un établissement à faire mieux qu’attendu compte tenu du profil scolaire et social des élèves, est en effet supérieur à celle des 99 autres lycées franciliens distingués par notre classement. « Le chemin vers l’excellence est multiforme », plaide Christophe Barrand, qui voit dans la diversité des formations proposées par son lycée (bacs généraux et technologiques) le secret qui permet de conduire le plus grand nombre d’élèves vers l’orientation la plus adaptée à leur personnalité. « Nous ne cherchons pas le chiffre de la performance maximale, mais l’excellence sur trois ans pour l’ensemble de nos élèves », insiste son proviseur, Christophe Barrand.
La seconde, année charnière
Les chefs d’établissements de tous les lycées sollicités s’accordent à souligner que l’année de seconde constitue une étape charnière pour amener les lycéens vers l’autonomie. Pour assurer « un accompagnement » plus serré des nouveaux élèves, la rentrée 2016 en seconde à Turgot « se fera dans des classes de 24 élèves », promet ainsi Christophe Barrand, quand la plupart des lycées doivent accueillir plus de 35 élèves par classe dans le public.
En une année, le collégien qui apprend sa leçon pour décrocher une bonne note doit muter en un lycéen qui va construire sa pensée. Il doit apprendre à collecter par lui-même des informations pour les exposer de manière structurée. Un grand bond que le lycée Jean-Baptiste-Say, dans le 16e arrondissement, accompagne avec des cours de méthodologie. « Pas de ménage ici, nous n’éliminons personne en cours de route », affirme Sylvain Gressot, proviseur de cet établissement, qui termine 12e de notre classement régional et 16e de notre classement des lycées au niveau national, mais avec la meilleure moyenne parmi les lycées publics.
En effet, l’établissement se distingue pour son accompagnement des élèves jusqu’au bac (avec une bonne valeur ajoutée du taux d’accès de la seconde au bac). Pour assurer une meilleure transition dès la seconde, le lycée insiste sur la « méthodologie », le « travail personnel et régulier ». Ce travail doit faire l’objet « de contrôles continus réguliers, de devoirs sur table hebdomadaires. On ne doit rien lâcher », poursuit Nadine Bourdier, proviseure du lycée Condorcet, établissement public situé à Limay, dans les Yvelines, qui conjugue bons résultats et bonne valeur ajoutée. « Nous sommes exigeants sur le travail fourni comme sur la présentation et le comportement », renchérit Laurent Poupart, proviseur de Franklin.
Mobilisation des parents et des professeurs
Outre l’implication des élèves, il s’agit également d’intégrer, informer, responsabiliser les parents qui ne le seraient pas. A Jean-Baptiste-Say, les responsables légaux des élèves reçoivent, en plus du carnet trimestriel, un bilan intermédiaire. Des réunions pédagogiques permettent de passer les classes aux radars de leurs professeurs et d’alerter les familles rapidement en cas de risque de décrochage. Enfin, résumés des cours, travaux à réaliser et notes sont partagés avec les familles. En cas de décrochage du lycéen, difficile d’échapper au regard parental et de l’équipe pédagogique.
La part d’autonomie laissée au chef d’établissement est, selon Sylvain Gressot et Christophe Barrand, le principal levier qui permet à chaque lycée de mettre en place une pédagogie originale. Alors que le lycée Turgot concentre des moyens sur ses classes de seconde, Jean-Baptiste-Say a mis en place « un enseignement modulaire ». Les meilleurs élèves sont invités à approfondir leurs compétences ; parallèlement, des cours de rattrapages sont proposés à ceux pour lesquels une faiblesse est détectée afin qu’ils rejoignent le groupe.
Enfin, l’autonomie n’est pas seulement celle des élèves mais également celle des professeurs. « Il faut impulser une politique de projet », défend le patron du lycée Turgot. Projets pédagogiques et culturels sont au centre de la méthodologie de ces bons lycées. Ils ne sont pas seulement un lieu d’enseignement mais une passerelle vers des établissements culturels que nombre d’adolescents ne découvriront pas dans le milieu familial (musée, théâtre, concert…). Valoriser les enseignants qui s’investissent dans ces projets fait partie du plan de ces proviseurs.
Pas de « formule » magique donc, ni même de « facteur-clé », comme le relevait en juillet 2015 l’Inspection générale de l’éducation nationale dans un rapport consacré aux « facteurs de valeur ajoutée des lycées ». Mais une alchimie, malgré tout, que certains lycées, d’année en année, parviennent à reproduire mieux que d’autres.
Classement des 100 premiers lycées de la région Ile-de-France
La méthodologie figure au bas de ce tableau, qui ne prend en compte que les établissements d’enseignement général et technologique de la région :
Le classement des lycées du Monde s’appuie sur quatre critères, issus des indicateurs de résultats des lycées, publiés chaque printemps par le ministère de l’éducation nationale :
- le taux de réussite au bac, qui marque l’excellence de l’établissement ;
- le taux d’accès de la première au bac, qui mesure la capacité ou la volonté du lycée de conserver ses élèves à l’issue de la première. Cet indicateur favorise aussi les établissements qui sélectionnent le plus à l’entrée en seconde ;
- le taux d’accès de la terminale au bac, qui montre si le lycée accepte comme redoublants ses élèves ayant échoué à l’examen.
- la valeur ajoutée, qui compare le taux de réussite au bac du lycée au taux attendu dans les établissements accueillant des élèves de même profil. Elle mesure la capacité de l’établissement à faire mieux ou moins bien réussir ses élèves que prévu.
Ces quatre critères pèsent tous autant dans le classement, qui ne prend pas en compte les lycées d’enseignement général et technologique présentant moins de 100 candidats au bac.
Le Monde publie par ailleurs les indicateurs détaillés de chaque lycée de France, et propose des pages de résultats des lycées par région, académie, département et commune.