« Ne mettons pas le Brexit sur le compte de l’insularité britannique »
« Ne mettons pas le Brexit sur le compte de l’insularité britannique »
Le résultat de ce vote n’est pas le fait d’un nationalisme étriqué, mais d’une indifférence des responsables politiques envers la souffrance des classes populaires. Elles seront malheureusement les premières à souffrir de cette sortie de l’Union.
A Londres, le 24 juin | REINHARD KRAUSE / REUTERS
Malgré l’aplomb des sondages et des militants, la Grande-Bretagne a voté la sortie de l’Union européenne (UE). Les élites ne sont pas seulement surprises – elles sont interloquées, quasi offensées. L’Ecosse, qui a voté massivement « Remain », se trouve dans une situation constitutionnelle épineuse, après avoir décidé, de justesse, de rester rattachée au Royaume-Uni l’année dernière. Le Scottish National Party (SNP), force confiante et dynamique, va être tenté d’organiser un nouveau référendum sur l’indépendance. Parce qu’un Royaume-Uni qui ne fait plus partie de l’UE, ça change complètement la donne. Ça change les lois de la gravité politique. Définitivement.
A tel point que pour la première fois de ma vie de Nord-Irlandais, me voilà d’accord avec l’étroit et nationaliste Sinn Fein ( « Nous-Mêmes », branche politique de l’IRA) qui a aussitôt déclaré : « Le gouvernement britannique a perdu toute légitimité de représentation des intérêts politiques et économiques du peuple d’Irlande du Nord. » Ça me fait mal de le dire, mais ils ont raison. Les probables complications à venir en Irlande du Nord sont incalculables (comme pour tout le Royaume-Uni). La frontière entre Irlande du Nord et du Sud pourrait redevenir une vraie frontière, entraînant des effets dévastateurs sur l’économie en République d’Irlande, de sérieux problèmes de sécurité et peut-être même une nouvelle ligne de front sur le chemin des demandeurs d’asile et des immigrants illégaux en route vers l’Angleterre. Plus encore, si l’on va très vite constater les dégâts économiques du « Brexit », combien de temps les loyalistes d’Irlande du Nord resteront-ils loyaux ? Ces fidèles agneaux voteront-ils encore longtemps le massacre ? Une petite Grande-Bretagne ruinée et isolée donnera-t-elle à certains l’idée d’envisager sous un nouveau jour leur permanente opposition à une Irlande unie ? Je ne sais pas. Personne ne sait.
Personne ne sait parce que cette histoire est l’aventure de l’ignorance et de la paresse de la pensée. L’assurance des membres des classes gauchisantes sophistiquées et prospères est une blague. Ils sont allés se coucher convaincus que le « Remain » passerait. Ils se sont réveillés dans un pays qu’ils ne reconnaissent plus. Ils arrivent un peu tard.
Le tour que la démocratie se joue à elle-même
Dans les jours à venir, on va beaucoup entendre que c’est un résultat xénophobe et nationaliste. Sûr que l’ombre des sombres nuages de la crise des migrants actuelle a pesé sur les discours de campagne. Mais la réponse de la gauche aux inquiétudes des électeurs sur le sujet a été d’une inadéquation confinant au suicide. L’immigration – son impact sur votre région, vos services, vos emplois – vous inquiète ? Vous êtes raciste. Une stratégie électorale qui manque d’un je-ne-sais-quoi. Evidemment, ce résultat est plus complexe. Et illustre la relation dysfonctionnelle de la classe politique avec une population tendue et en souffrance. Les derniers jours, la campagne pour le « Remain » s’est vantée d’avoir abattu la carte maîtresse de l’argument économique. Votez pour le statu quo, parce que nul ne peut prévoir l’ampleur de la pagaille économique si le Royaume-Uni quitte l’UE.
Catastrophique. Aussi idiot qu’insultant. Voter pour le statu quo ? C’était inviter les régions défavorisées, les populations sous-payées et sans emploi à jeter un coup d’œil à ce morne et déliquescent statu quo qui les entoure et à rejeter fermement un système dont ils pensent qu’il leur a fait tant de mal. Pas juste une invitation, presque un défi. Mou et méprisant, en plus. Conscientes depuis des années du dédain dans lequel elles sont tenues, les classes ouvrières et populaires britanniques ont trouvé dans ce vote l’occasion de protester, d’objecter, de punir. Elles ne réalisent peut-être pas à quel point elles seront les premières punies. Souvent, quand un électorat se sent arnaqué et marginalisé, il vote pour d’autres arnaqueurs. C’est le vilain petit tour que la démocratie se joue à elle-même.
Mais avant de trop râler contre ces lamentables rosbifs et leur mentalité tristement insulaire, considérez ceci : cela fait des années que les sondages montrent que l’UE est en réalité plus largement populaire en Grande-Bretagne qu’en France. Mon cœur en tressaille. Quel serait le résultat si un tel vote se tenait dans ma France bien-aimée ? Que deviendraient l’Europe et la France ? C’est une question dont je ne veux pas connaître la réponse, une expérience à éviter à tout prix.
Le 24 juin au matin, je me suis réveillé plus pauvre que la veille. Et vous, mes chers amis français, vous aussi.
Robert McLiam Wilson (Traduit de l’anglais par Myriam Anderson)