A Nice. | Eric Gaillard/Reuters

Au revoir le magasin Darty du boulevard de Belleville, dans le 11e arrondissement de Paris, ou celui de l’avenue de Saint-Ouen, dans le 17e : d’ici un an, ils auront changé d’enseigne. L’Autorité de la concurrence a annoncé, lundi 18 juillet, qu’elle autorisait la Fnac à racheter Darty, sous réserve que l’agitateur culturel cède six magasins, dont cinq Darty, sur un total de 403 recensés en France sous les deux bannières.

« La cession de ces six magasins à un ou plusieurs distributeurs en produits électroniques, garantira au consommateur des alternatives crédibles, à même de maintenir des conditions tarifaires et de services concurrentiels à l’échelon local », souligne l’Autorité dans un communiqué.

Les pas-de-porte à vendre sont tous situés en région parisienne. S’ajoutent aux magasins déjà cités, les Darty des centres commerciaux Italie 2 (Paris 13e) et Vélizy 2 (Yvelines), ainsi qu’un espace en projet avenue de Wagram (Paris 17e). Une seule Fnac est concernée, celle du centre commercial Beaugrenelle (Paris 15e). Ces emplacements réalisent moins de 1 % du chiffre d’affaires combiné des deux groupes, selon la Fnac.

Exigences limitées

Ces exigences limitées constituent une excellente nouvelle pour l’enseigne. Alors qu’Alexandre Bompard, le PDG de la Fnac, avait lancé il y a tout juste un an ses premiers jalons en vue de racheter le distributeur d’électroménager, le feu vert de l’Autorité de la concurrence restait le dernier obstacle sur sa route pour bâtir un poids lourd du commerce physique et en ligne.

La difficulté n’était pas tant de décrocher cette autorisation que de savoir sous quelles conditions elle s’exercerait. Ni les livres ni les lave-linge ne posaient problème. Le risque était que le gendarme de l’antitrust voie se profiler dans les rayons TV ou smartphones une baisse de la pression concurrentielle et que, pour y remédier, il impose de lourdes contreparties. La Fnac avait d’ailleurs conditionné son OPA sur Darty à l’obtention d’une bénédiction de l’Autorité de la concurrence dans des termes « raisonnablement satisfaisants ».

Alors que nombre de magasins Fnac et Darty se toisent d’un trottoir à l’autre, certains experts avaient évoqué la vente potentielle d’une trentaine, voire d’une quarantaine de sites. La clé était la manière dont les membres de la Rue de l’Echelle allaient prendre en compte ou non dans leurs calculs de parts de marché les ventes réalisées sur Internet, notamment par Amazon ou encore Cdiscount (Casino).

« Cette annonce est le résultat d’un dialogue constructif de plusieurs mois entre l’Autorité et la Fnac, au terme duquel l’Autorité a reconnu que les magasins physiques et les ventes en ligne appartenaient à un seul et même marché, et a pris en ce sens une décision pionnière en Europe », s’est félicitée la Fnac.

Zone par zone

Ce n’était pas gagné. En 2011, dans le même secteur de la distribution de produits d’électronique, lorsque Boulanger (Groupe Auchan) avait racheté les 36 magasins français de l’allemand Saturn, l’Autorité n’avait pas intégré l’e-commerce dans le spectre de ses investigations. « Ce qui est justifié en 2016 ne l’était pas en 2011. En cinq ans, les habitudes de consommation des Français ont beaucoup changé », plaide Bruno Lasserre, le président de l’Autorité de la concurrence.

Pour s’en convaincre, l’antitrust a ainsi confié pour la première fois à l’IFOP la mission de sonder 20 000 consommateurs, afin de savoir vers quelle(s) enseigne(s) ils se tourneraient si la Fnac ou Darty augmentaient leurs prix ou si leur qualité de service baissait. « Nous avons pu mesurer à quel point les ventes en ligne sont devenues une vraie alternative. D’autant que beaucoup de consommateurs intègrent Internet dans leurs parcours d’achat. Il est très rare de trouver des écarts de prix supérieurs à 5 % », souligne M. Lasserre.

Pour autant, l’Autorité de la concurrence n’a pas suivi la Fnac jusqu’au bout. L’acquéreur de Darty avait plaidé, en effet, pour que les parts de marché soient appréciées au plan national et non localement. Au contraire, le gendarme a mené un travail de fourmi pour mesurer la pression concurrentielle zone par zone.

Plus rien ne s’oppose à ce que la Fnac prenne les rênes de Darty

« Nous avons noté dans chaque zone de chalandise la pression concurrentielle exercée par les différents acteurs, en donnant à chacun des scores, en fonction de la diversité du choix, de la proximité géographique… Il a fallu une approche nouvelle, différente de la simple comparaison de mètres carrés », précise M. Lasserre.

Au terme de ce travail, l’Autorité aura donc sélectionné six magasins, très bien placés, susceptibles d’intéresser des acheteurs. Ce n’est pas un hasard s’il s’agit essentiellement de magasins Darty, réputés plus faciles à vendre que des Fnac. « Nous ne voulions pas handicaper l’offre culturelle à Paris », reconnaît M. Lasserre.

Certains, comme Boulanger, n’ont pas caché ces derniers mois leur volonté de s’étendre. C’est le cas également de Ubaldi, le site d’e-commerce niçois, qui gère déjà une douzaine de points de vente. La profession regardera également avec intérêt si d’autres « pure-players » de l’e-commerce comme Cdiscount se manifestent.

Après ce feu vert, plus rien ne s’oppose en tout cas à ce que le groupe Fnac prenne les rênes de Darty, courant août. Vendredi 15 juillet, le distributeur a fait savoir qu’il détenait 91,79 % du capital de l’entreprise cotée à la Bourse de Londres. Compte tenu des règles en vigueur outre-Manche, le français a besoin d’atteindre le seuil de 93 % pour pouvoir imposer aux actionnaires minoritaires restants de lui céder leurs titres. L’offre se clôture le 29 juillet. A charge ensuite pour Alexandre Bompard, qui a promis des synergies élevées, de les réaliser.