Tour 2016 : Adam Yates, « made in France »
Tour 2016 : Adam Yates, « made in France »
Par Clément Guillou (Finhaut, Suisse)
Le Britannique, surprenant troisième et meilleur jeune du Tour, a fait ses classes dans le Doubs.
Adam Yates enfile le maillot blanc de meilleur jeune à l’arrivée de la 17e étape, mercredi 20 juillet, à Finhaut (Suisse). | Lionel Bonaventure/AFP
C’est un trois-pièces aux ondes miraculeuses. Entre 2012 et 2013, trois coureurs du Tour de France ont séjourné dans ce meublé, au neuvième étage d’une tour du quartier de la Montagne, à Etupes, petite commune du Doubs de 3 600 âmes. Parmi eux, le Britannique Adam Yates. Avant le départ de l’édition 2016, personne n’aurait parié que le coureur de 23 ans, 50e en 2015 pour sa première participation, se retrouverait troisième et porteur du maillot blanc de meilleur jeune à quatre étapes de l’arrivée.
Il y a trois ans, le coureur de la formation australienne Orica achevait son aventure française au CC Etupes, un club amateur où viennent puiser les équipes professionnelles en quête de grimpeurs prometteurs, comme la FDJ avec Thibaut Pinot. La dernière de ses deux saisons et demie passées en France, où Adam Yates a cherché sa voie et appris le métier, après avoir été rejeté par la fédération de son propre pays. « Si c’était à refaire, je ne changerais absolument rien », raconte-t-il aujourd’hui au Monde, avec son accent mancunien qui lui a souvent posé problème au moment de se faire comprendre dans le peloton français.
Peu à l’aise sur la piste, priorité du cyclisme britannique, Adam Yates n’était pas jugé suffisamment bon pour intégrer le programme d’élite de la fédération, « l’Academy », à l’inverse de son frère jumeau Simon – désormais son coéquipier chez Orica, de retour d’une suspension de quatre mois pour « violation non intentionnelle » des règles antidopage.
Il en faut plus pour faire renoncer celui qui, à 17 ans, affirmait au magazine spécialisé Cycling Weekly : « Peu importe où l’on va, où l’on vit, du moment qu’on arrive à rejoindre une équipe du ProTour [la première division mondiale]. » Déterminé, Adam Yates active son petit réseau et atterrit dans un club français de troisième division amateur, connu pour sa passion des coureurs britanniques. « Je connaissais un peu Joshua Hunt, qui courait à l’UVCA Troyes, et je lui ai demandé s’ils avaient une place pour moi, raconte-t-il de son débit rapide. Il est allé demander au président et, une semaine plus tard, il m’a rappelé en me disant que je pouvais venir. »
« L’envie de réussir »
Quand il arrive en cours d’année à Troyes, Adam Yates est à l’aube d’une carrière professionnelle que ses coéquipiers sont incapables de prédire. Troisième du Tour de France ? Encore moins. « On a vu passer quelques coureurs qui sont passés professionnels, mais Adam, je n’aurais pas cru », s’amuse Johan Boucher, à l’époque le seul coureur français anglophone de l’effectif. « Adam avait quand même un truc en plus : l’envie de réussir. Et si, dans la vie, on ne pouvait pas se prendre la tête avec lui tant il était adorable, sur le vélo, il avait le guidon entre les dents. C’est une sangsue qui ne lâche jamais la roue de devant », se souvient l’ancien coureur aubois, devenu éducateur.
Le Britannique partage une maison de Troyes avec les autres étrangers de l’équipe, où il boulotte des bonbons Haribo achetés au kilo au magasin d’usine du coin. Et un peu de Fanta pour faire passer le sucre. Ce n’est, à l’époque, pas un problème pour celui qui ne fait pas encore la chasse aux kilos superflus : « A Troyes, j’étais un peu plus lourd, je travaillais plutôt mon sprint et mon explosivité. » Boucher corrobore : « Grimper, ce n’était pas du tout son truc. La deuxième année, il a commencé à gagner des courses, mais au sprint. » Il est même battu d’un boyau par Bryan Coquard (Direct Energie) sur une étape du Tour des Deux-Sèvres. Fin 2013, Troyes propose au CC Etupes ce « routier sprinteur, super coureur de critériums, qui sait se placer et aime le vent ».
« Un club de passage »
Jérôme Gannat, le directeur sportif d’Etupes, est d’abord circonspect sur le talent réel du Britannique. Et rétrospectivement, il regrette de ne pas avoir installé Adam Yates dans le rôle de leader. « Chez nous, il n’a pas fait une saison extraordinaire, se souvient Jérôme Gannat. Il prenait pas mal de courses en dilettante. Comme on le voit aujourd’hui, ce n’est pas un grand attaquant, or, sur les courses amateur françaises, c’est un peu l’anarchie. Il avait de très bons tests physiques mais quand je l’ai proposé à certaines équipes françaises, elles n’étaient pas intéressées. »
Un mois avant le Tour de l’Avenir, la vitrine des coureurs de la catégorie espoirs, Adam Yates est rejoint en Franche-Comté par son frère. Et il explose : deuxième du classement final. Un agent s’en rapproche et le CC Etupes n’existe plus. L’équipe Orica lui fait signer un contrat et le club ne verra plus qu’à de rares reprises son meilleur coureur, réquisitionné par l’équipe nationale et protégé par son agent.
Jérôme Gannat se souvient d’Adam Yates comme d’un coureur agréable mais discret, pas porté sur la langue française – le maillot blanc sait dire « bonjour », « comment ça va » et pas mal de gros mots – et qui n’a pas tissé de liens à Etupes. « Pour lui, c’était un club de passage. » Il a quand même trouvé un moyen de laisser sa trace : après une victoire d’étape au Tour de Franche-Comté, Yates a obtenu de changer la vieille télévision du T3 de la Montagne par un immense écran plat de 129 centimètres.