Donald Trump se veut le candidat anti-élites
Donald Trump se veut le candidat anti-élites
Par Gilles Paris (Cleveland (Ohio), envoyé spécial), Nicolas Bourcier (Cleveland (Ohio), envoyé spécial)
Dans son discours d’investiture, le milliardaire républicain a promis d‘être le porte-parole du « peuple ».
Pendant le discours de Donald Trump à Cleveland, le 21 juillet. | DARCY PADILLA/ VU POUR "LE MONDE"
La première étape de l’incroyable voyage en politique de Donald Trump s’est achevée à Cleveland, jeudi 21 juillet, peu avant minuit. Une formidable ovation a salué le discours qu’il venait de prononcer et dans lequel il avait accepté « avec humilité » l’investiture du Parti républicain pour l’élection présidentielle du 8 novembre. Christine Beadel, une déléguée afro-américaine septuagénaire venue de Washington, danse sur une chanson des Rolling Stones, parmi les traditionnels ballons bleus, blancs et rouges tombés des cintres de la salle de basket des Cavaliers. « Le discours était fantastique, il a évoqué la sécurité, l’éducation… Je suis fière. Il va réussir à avoir l’électorat noir et même latino parce qu’il fait ce qu’il dit et que cela va se savoir », assure la militante, radieuse.
Ce discours dépourvu des références historiques, dont la politique américaine se nourrit pourtant en pareille circonstance, était un passage obligé et surtout une opportunité pour le magnat de l’immobilier. Il lui fallait en effet dissiper les doutes alimentés par les premiers jours chaotiques de la convention du Grand Old Party (GOP), entre le plagiat par sa femme de passages d’un discours de Michelle Obama, le bâillonnement brutal des derniers réfractaires du parti, et la colère soulevée mercredi par le refus du sénateur du Texas Ted Cruz d’appeler sur scène à voter pour M. Trump.
Tableau angoissant
Le milliardaire avait besoin de tracer à nouveau un chemin. Il y est parvenu par une promesse criée, comme tout son discours, aux Américains, au-delà des murs de Cleveland. « Je suis votre voix ! », a assuré Donald Trump à l’attention de « ceux qui travaillent dur alors que plus personne ne parle en leur nom », victimes d’un « système truqué » dont bénéficient uniquement « les élites ». Un discours prononcé le 22 juin avait déjà fourni le cadre de celui de Cleveland. En ajoutant ces quatre mots, M. Trump a scellé son ambition, soulignée par sa fille Ivanka qu’il avait présentée à la foule, d’être « le champion du peuple », le seul capable de tout changer. Il a promis « la vérité », dissimulée par « les médias et les groupes d’intérêts », même s’il n’a pas manqué de prendre des libertés avec elle en assénant à son public des statistiques sur la sécurité ou l’immigration.
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Auparavant, le candidat républicain s’était attaché à dresser le tableau le plus angoissant possible des Etats-Unis, alimenté par le rappel des derniers crimes liés à l’immigration illégale, des violences contre les forces de police, la menace du terrorisme et d’une situation économique jugée désastreuse. Regardant au-delà des frontières américaines, Donald Trump n’avait trouvé également que « morts, destructions et affaiblissement » américain, ainsi qu’une unique coupable : sa future adversaire, l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton, éreintée quatre jours durant par une foule souvent haineuse lui promettant de finir en prison.
C’est dans ce contexte anxiogène que le candidat a rappelé deux promesses : la construction d’un mur sur la frontière avec le Mexique et la suspension de l’immigration en provenance de pays en proie au terrorisme. Il n’est cependant plus question que le Mexique finance la frontière, comme le chantaient par le passé ses supporteurs. Autre fait marquant, M. Trump n’a pas mentionné l’islam comme facteur aggravant pour l’immigration.
La « voix des oubliés »
En début de soirée, le président du Comité national républicain, Reince Priebus, avait assuré que le GOP était « le parti des idées nouvelles » pour mieux l’opposer au Parti démocrate, présenté comme le garant du « système » en place. L’innovation, pour M. Trump, a sans doute été de ne pas citer une seule fois l’icône républicaine Ronald Reagan, dont l’optimisme proverbial jurait avec la description sombre et inquiétante assénée au public. Il lui a préféré sans le mentionner un autre président républicain, Richard Nixon, qui avait lui aussi donné un écho à « la voix des Américains oubliés » dans son discours d’acception de 1968, ainsi qu’à la « majorité silencieuse » sur laquelle mise le milliardaire pour accéder à la Maison Blanche.
L’un des paradoxes de jeudi a été que les idées nouvelles avancées par le magnat de l’immobilier l’ont surtout été pour le parti qu’il entend représenter. M. Trump n’a pas plus mentionné le nom de Dieu que celui de Reagan, mais il a promis de protéger la communauté LGBT, alors que la plate-forme adoptée par le parti au début de la convention veut revenir sur le mariage entre personnes de même sexe.
Le milliardaire n’a pas jeté aux orties toutes les convictions républicaines, dénonçant l’excessive réglementation, comme le poids des taxes ou les entraves opposées à l’exploitation des ressources naturelles américaines. Il a veillé aussi à rassurer sa base électorale en répétant comme il le fait désormais avec insistance qu’il est « le candidat de la loi et de l’ordre ». Ces concessions mises à part, Donald Trump a définitivement enterré, sous les applaudissements, deux credo conservateurs : le libre-échange et l’interventionnisme en politique étrangère. Il a également rétréci sous les vivats l’horizon de ses concitoyens au nom d’un principe : « America first. » Et d’ajouter : « L’Américanisme sera notre credo, et non le globalisme. »
Ivanka Trump, qui avait pour mission d’adoucir l’image de son père auprès des femmes en vantant le progressisme sur ce point de ses sociétés, a donné un aperçu de la transformation que souhaite opérer son père. Elle a indiqué que, comme nombre de personnes de sa génération, elle ne se considérait pas « catégoriquement comme une démocrate ou une républicaine », un énoncé qui relève sans doute de l’hérésie pour l’aile droite du GOP qu’entend incarner Ted Cruz.
Garant de la « sécurité »
Souvent abrasif pendant la campagne vis-à-vis des minorités, M. Trump s’est en effet voulu inclusif et bienveillant, assurant que sa capacité à relever l’économie profiterait à chacun. Y compris dans les villes marquées spectaculairement par des tensions liées à des violences policières visant des Afro-Américains en 2014 et en 2015, de Ferguson à Baltimore. Il s’est montré tout aussi accueillant vis-à-vis des démocrates qu’il cherche à séduire par son protectionnisme économique. Il a pris soin de citer à deux reprises l’adversaire malheureux de Mme Clinton, Bernie Sanders, présenté comme une autre victime du même « système ».
Le changement promis jeudi, même si M. Trump s’est systématiquement montré avare en détails, Kevin Speight, délégué de Caroline du Nord présent dans la salle des Cavaliers, l’attend avec impatience. « On n’en peut plus, mais les Etats-Unis se réveillent, ils sont de retour », a-t-il assuré, confiant dans les chances du milliardaire. « Le monde change, il devient difficile », a ajouté Susan Rodman, de l’Ohio, convaincue d’avoir en la personne du magnat de l’immobilier, qui en a fait la promesse, un garant « de la sécurité de tous, de la famille, de la police… ».
Kendal Unruh, une déléguée du Colorado qui s’était signalée par sa pugnacité pendant la fronde des derniers anti-Trump républicains, au début de la convention, est restée, elle, imperméable au sentiment d’euphorie qui s’est exprimé partout autour d’elle pendant et après le discours du magnat de l’immobilier. « C’est fini pour nous, a-t-elle déploré. Quand Trump a été choisi, on a élu Hillary. Il ne peut pas gagner parce qu’il est incapable d’élargir son électorat. Pour l’emporter, Hillary n’aura qu’à diffuser des clips de lui qui le montrent tel qu’il est. » Et puis ceci : « On avait tout pour la battre, mais pas avec Trump. »
Cette nuit, à Cleveland, la voie s’est dégagée pour un candidat qui se débat comme sa future adversaire avec une image particulièrement dégradée. Après avoir bousculé puis conquis un Parti républicain réticent, M. Trump dispose d’un peu plus de trois mois pour tenter de parvenir au 1600 Pennsylvania Avenue, à Washington.
Le candidat officiel Donald Trump promet à l’Amérique ordre et sécurité
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