Putsch raté en Turquie : le dilemme d’Athènes sur le sort des militaires turcs
Putsch raté en Turquie : le dilemme d’Athènes sur le sort des militaires turcs
Par Intérim (Athènes, correspondance)
Le président Erdogan, qui poursuit les purges après le coup d’Etat manqué, réclame l’extradition de huit soldats ayant fui pour la Grèce, où ils ont déposé une demande d’asile.
Un policier grec escorte un des soldats turcs réfugiés en Grèce, à sa sortie du tribunal d’Alexan-droupolis, le 21 juillet. | SAKIS MITROLIDIS / AFP
« Le gouvernement d’Alexis Tsipras marche sur des œufs avec cette affaire embarrassante », estime Thanos Dokos, le directeur du think tank Eliamep (Fondation hellénique pour la politique européenne et étrangère). Jeudi 21 juillet, la condamnation tant attendue, suivie par tous les médias turcs qui s’étaient déplacés au tribunal d’Alexandroupolis, est tombée : les huit militaires turcs accusés d’être entrés illégalement en hélicoptère sur le territoire grec, samedi 16 juillet, après le putsch raté en Turquie, ont été condamnés à deux mois de prison avec sursis. Ils encouraient jusqu’à cinq ans de prison, mais leur avocate, Me Vassiliki-Ilia Marinaki, a expliqué à la télévision grecque qu’ils avaient bénéficié de circonstances atténuantes, « leurs vies étant sérieusement menacées ».
Lors de l’audience, les prévenus ont affirmé dans un communiqué : « Nous n’avons pas participé à la tentative de coup d’Etat. » « Nous nous excusons du désagrément suscité à l’Etat grec, mais nous n’avions pas d’autre choix », ont-ils ajouté. Sur le banc des prévenus, un pilote turc a notamment raconté qu’« il y avait des arrestations massives de militaires sans distinction » dans la nuit de vendredi à samedi, et qu’ils « avaient eu peur », d’où leur fuite. D’après son témoignage, l’hélicoptère ne servait qu’à transférer des blessés et n’avait aucune arme à bord.
Dans la salle d’audience, jeudi à Alexandroupolis, la tension était palpable : une association d’avocats turcs a tenté de fournir des documents à la présidente de la cour pour prouver la culpabilité des militaires. « Ils ne sont pas partie prenante du procès. La présidente ne pouvait pas accepter », remarque Me Marinaki. Ces avocats turcs ont également distribué une note en grec accusant les huit prévenus d’être des « membres de l’organisation terroriste FETO/PDY », du prédicateur musulman Fethullah Gülen, accusé par Ankara d’avoir fomenté le putsch raté.
« La tension est certaine »
Les autorités turques, qui considèrent ces militaires comme des putschistes, ne peuvent se contenter de cette condamnation de deux mois avec sursis et réclament l’extradition des prévenus pour qu’ils soient jugés dans leur pays. Mais, à leur arrivée à Alexandroupolis samedi, les officiers ont déposé des demandes d’asile qui doivent désormais être étudiées selon les règles par l’administration grecque. La procédure devrait commencer lundi et prendre « environ deux semaines, un temps record compte tenu de la situation », selon une source gouvernementale.
« Si les demandes d’asile de ces terroristes étaient acceptées, cela ne participerait pas à la pacification des relations entre la Grèce et le Turquie », a mis en garde jeudi l’association de juristes turcs au procès. Un avertissement déjà émis mardi par l’ambassadeur de Turquie en Grèce, Kerim Uras. « J’espère que nous parcourrons rapidement les phases de la procédure afin de faire en sorte de renvoyer ces terroristes pour qu’ils soient jugés (…). Si ce procès se déroule rapidement et qu’ils sont renvoyés dès que possible, cela peut se transformer en quelque chose de très positif pour nos relations bilatérales ; mais, si ce n’est pas le cas, je crains que ça n’aide pas du tout. En tant qu’ambassadeur, cela m’inquiéterait », avait-il déclaré à la presse.
« Avec la purge en cours en Turquie, la réaction de l’ambassadeur ne me surprend pas. Il veut démontrer comme tous les hauts fonctionnaires qu’il est fidèle au régime », commente Thanos Dokos. « La tension est certaine entre les deux pays et personne ne veut dégrader des relations déjà compliquées en raison des questions de souveraineté sur les îles de la mer Egée et de l’inextricable problème chypriote. Cela oblige Alexis Tsipras à faire preuve de réalisme et de sang-froid », poursuit l’expert.
« La Grèce doit suivre les procédures »
Du côté du gouvernement grec, l’heure est en effet à l’apaisement : « La Turquie demande l’extradition des militaires turcs, cela est compréhensible. Nous aussi, si nous avions eu affaire à un coup d’Etat, nous voudrions pouvoir les juger. Mais, d’un autre côté, la Grèce doit suivre toutes les procédures prévues par le droit international », soutient la porte-parole du gouvernement grec, Olga Gerovassilis. Autre signe de bonne volonté de la part d’Athènes : l’armée a déployé des navires dans les îles frontalières avec la Turquie pour éviter que d’autres militaires turcs ne tentent de rejoindre le sol grec.
En attendant l’étude de leur demande d’asile, les militaires turcs resteront en rétention. « Ils ont peur d’être condamnés à la peine de mort, s’ils retournent en Turquie, étant donné qu’il y a actuellement un débat pour la réintroduire », justifie leur avocate Me Marinaki. « En temps normal, une loi est non rétroactive, réplique Thanos Dakos. Mais, vu le climat actuel en Turquie, nous ne pouvons être sûrs de rien… »
Manifestation de soutien à Erdogan en Turquie
Durée : 01:20