« Panama Papers » : le roi de l’autobus au Niger pratique la finance aux Seychelles
« Panama Papers » : le roi de l’autobus au Niger pratique la finance aux Seychelles
Mohamed Rhissa Ali, à la tête d’une société de transport de voyageurs et proche du président du Niger, est un adepte de la finance offshore.
Mohamed Rhissa Ali dit « Rimbo » est le patron de la société Rimbo Transport Voyageurs (RTV) mais aussi un militant très influent à la réputation de grand argentier du parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, au pouvoir. Une partie de sa fortune a été placée dans des paradis fiscaux avec l’aide de la firme panaméenne Mossack Fonseca. C’est ainsi qu’en 2008, il crée une société offshore, Trenson Investment & Trading Ltd, domiciliée aux Seychelles et ouvre un compte bancaire dédié qui recevrait des fonds de son entreprise de transport au Niger.
Un continent de secrets : une nouvelle série sur les « Panama papers » en Afrique
Le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), dont Le Monde est partenaire, publie dès lundi 25 juillet une nouvelle série d’articles à partir des documents « Panama papers » sur l’évaporation des ressources en Afrique.
La présentation (en anglais) de cette série est à trouver ici.
Les 11,5 millions de documents issus du cabinet panaméen Mossack Fonseca mettent en lumière le rôle des sociétés offshore dans le pillage du continent, qu’il s’agisse de l’industrie du diamant en Sierra Leone, des structures de dissimulations du milliardaire nigérian Kolawole Aluko, propriétaire d’un yacht sur lequel Beyonce a passé des vacances et lié à l’ancienne ministre du pétrole nigériane Diezani Alison-Madueke, ou le recours systématique aux paradis fiscaux par l’industrie extractive.
Selon l’ICIJ, des sociétés issues de 52 des 54 pays africains ont recouru à des structures offshore, participant à l’évaporation de 50 milliards de dollars d’Afrique chaque année. ICIJ, pour cette nouvelle série, s’est appuyé sur ses partenaires habituels ainsi que sur des journalistes en Algérie, au Ghana, en Tanzanie, au Niger, au Mozambique, à Maurice, au Burkina Faso et au Togo, coordonnés par le réseau indépendant ANCIR.
Pourquoi Mohamed Rhissa place-t-il les revenus de ses activités aux Seychelles, un territoire soupçonné d’être une plaque tournante du blanchiment et de la fraude fiscale, et non au Niger ? Il y a lieu de s’interroger car le rapport 2014 de Global Financial Integrity indique que l’évasion fiscale aurait fait perdre au Niger - pays parmi les plus pauvres de la planète - l’équivalent d’un milliard et demi de dollars entre 1970 et 2008 soit environ 800 milliards de francs CFA. « Rimbo » y a largement contribué.
De Niamey aux Seychelles
Tout commence le 7 août 2008, lorsque Mohamed Rhissa Ali, qui vit à Niamey, ouvre sa première société offshore aux Seychelles : Trenson LLC. Il en est le directeur et donc le responsable légal. Sept mois plus tard, ce véhicule financier change de nom pour devenir Trenson Investment & Trading Ltd. L’activité de cette société n’est autre que le transport de voyageurs au Niger.
Mohamed Rhissa Ali a d’abord fait ses classes dans l’import-export dès 1999 avec sa société « Rimbo ». Avant d’investir le secteur du transport de voyageurs au Niger en 2003 avec Rimbo Transport Voyageurs (RTV-SARL) dont il détient 50 % du capital, le reste est réparti entre deux associés. « Monsieur Rimbo » a commencé modestement avec seulement trois bus qui roulaient sur les 650 km de route cahoteuse reliant Niamey à Maradi, en bordure de la frontière avec le Nigeria.
Les « Panama papers » en trois points
- Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
- Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
- Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.
Entre 2004 et 2008, il se développe et créé plusieurs agences dans les sept régions du pays. Sa flotte compte désormais plus de quarante cinq bus de soixante-dix places chacun. Pas suffisant. Il voit dans l’intégration régionale et le marché commun de l’espace de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa, huit pays) une opportunité de développement de son affaire. Le voilà qui ouvre en 2008 des agences au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Togo. Désormais « Rimbo » voit grand, acquière dix-neuf bus par an pour un montant de 3,5 milliards de francs CFA « sur fonds propre et le reste étant financé par les banques de la place », dit-il. Cette même année 2008, il s’essaye à la finance offshore.
L’homme d’affaires qui dispose d’un entregent politique semble assez habile pour avoir réussi à éviter la crise qui frappe le secteur des transports et a dévasté des sociétés comme Aïr transport, SNTV et d’autres. Mais son nom s’est récemment retrouvé au cœur d’un scandale de trafic de devises. « Rimbo » a été interpellé avec 10 milliards de francs CFA en devises. Mais faute d’enquête des autorités, le pactole lui a été restitué ainsi qu’à ses complices à l’été 2015. Ce qui n’a pas manqué de provoquer l’ire du syndicat national des agents des douanes qui a dénoncé une intervention de l’Etat. Et la condamnation de l’Association nigérienne de lutte contre la corruption. Des Seychelles au Niger en passant par le Panama, la fortune de Mohamed Rhissa Ali semble alimenter des circuits opaques.
Cette enquête a été réalisée par Moussa Aksar du journal nigérien L’Evénement et l’African Network of Center for Investigative Reporting (ANCIR), en coordonation avec le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ). Le texte original a été adapté par Le Monde Afrique.