Enquête inachevée sur les véhicules diesel
Enquête inachevée sur les véhicules diesel
Par Laetitia Van Eeckhout
La commission Royal n’a pas pu étudier les logiciels des voitures susceptibles de fausser les tests d’émissions.
Les policiers contrôlent des voitures à l’entrée de Paris, le 23 mars 2015, lors d’un pic de pollution ayant entraîné une mesure de circulation alternée. | FRANCOIS MORI /AP/SIPA
Rapport retardé, investigations incomplètes : les travaux de la commission sur la réalité des émissions polluantes des véhicules diesel circulant en France, mise en place par la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, sont vivement critiqués par des ONG.
Alors que les instances similaires britannique et allemande, créées à la suite du scandale Volkswagen – qui a reconnu avoir sciemment triché sur la réalité des émissions polluantes de ses véhicules –, ont déjà publié leur compte rendu, en avril, la présentation des conclusions de la commission Royal, initialement prévue en juin, remise une première fois au 22 juillet, a de nouveau été reportée. Ce sera pour le lundi 1er août, assure-t-on au ministère de l’environnement.
Les ONG France nature environnement (FNE) et Réseau action climat (RAC) craignent que le rapport sorte en toute discrétion dans la torpeur de l’été, sans que sa version finale puisse être relue par l’ensemble des membres de la commission dont elles font partie. Or, elles s’inquiètent des conclusions qui seront tirées.
Dévoilées en avril, les analyses effectuées sur 52 premiers véhicules – 100 véhicules devaient être testés – ont montré que la majorité des modèles dépassaient les normes pour le CO2 et les oxydes d’azote. Ces dépassements, en conditions réelles de conduite, pouvaient atteindre pour certains véhicules de trois à dix fois les plafonds autorisés. Mais ces tests n’établissaient pas, précisait alors le ministère, l’existence de logiciels permettant la fraude tels que celui employé par Volkswagen.
« Lorsque l’on voit que même sur les tests classiques d’homologation, en laboratoire, il peut y avoir des écarts importants, jusqu’à 2,5 fois au-dessus de la norme – y compris pour des voitures de la toute dernière norme Euro 6 –, des investigations plus poussées sont nécessaires avant d’affirmer qu’il n’y a pas de logiciel truqueur, affirme Charlotte Lepitre, de FNE. D’autant que les explications données par les constructeurs sont restées très lacunaires. »
Un autre membre de la commission, Eric Horlait, directeur général délégué de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), un établissement public sous la tutelle des ministères de la recherche et de l’industrie, partage ce constat : « La commission a fait un travail intéressant, révélant que presque tous les véhicules dépassaient les normes et pour certains de façon très importante. Ce qui, en soi, pour les citoyens, est inquiétant. Mais elle n’a pas gratté jusqu’au bout. On ne peut conclure à l’absence de tricherie dans les logiciels car nous ne nous sommes pas donné les moyens de vérifier. »
« Nous ne savons pas comment
les logiciels sont faits »
Le principe des tests élaborés par l’UTAC Ceram, l’organisme de certification français, a certes consisté à faire en sorte qu’un éventuel système de fraude, installé sur les moteurs, ne puisse pas détecter que les véhicules se trouvent en phase de tests en laboratoire, comme c’était le cas sur les modèles Volkswagen. Mais la commission – présidée par Mme Royal, elle est composée d’experts du ministère, de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), d’organismes spécialisés dans l’environnement, d’ONG, d’associations de consommateurs et de parlementaires – n’a pas expertisé en tant que tels les logiciels qui équipaient les voitures testées.
« Il aurait pourtant été légitime d’engager une analyse des logiciels, d’autant que c’était la question qui était posée au départ et a suscité la mise en place de cette commission, comme d’ailleurs notre présence en son sein. L’objectif n’était-il pas de regarder si les véhicules comportaient ou non un système de leurre antipollution ? », interpelle Eric Horlait.
Selon cet expert, pour mettre à l’épreuve les logiciels des voitures, il aurait été « techniquement tout à fait possible » d’organiser des tests sur une flotte réelle de véhicules en circulation, en exploitant les données massives ainsi recueillies. Les véhicules modernes, de plus en plus connectés, sont équipés de dispositifs de mesure qui pourraient permettre de vérifier que le système antipollution fonctionne tout le temps. « Nous n’avons même pas eu accès au code source et à la documentation des logiciels, les constructeurs se montrant réticents à nous les fournir. Nous ne savons donc pas comment ils sont faits », ajoute Eric Horlait.
Interrogé par Le Monde, le constructeur français Renault assure, sans autres commentaires, avoir « pleinement coopéré avec la commission Royal ». Si Mercedes dit ne pas avoir été interrogé lors de son audition sur les logiciels, chez Ford on reconnaît qu’« à deux reprises, la question a été posée, des membres de la commission soulignant qu’il serait utile d’avoir ces informations. Ce à quoi nous avons répondu les tenir à la disposition de l’UTAC et de la DGCCRF. Mais la commission n’a pas réitéré sa demande et a confirmé l’absence avérée de logiciel truqueur dans les modèles Ford ».
« Il y a une grave crise de confiance »
L’entourage de Ségolène Royal souligne que la démarche de la commission « relevait plus d’une opération de transparence que d’une enquête “judiciaire” ». « Il revenait aux constructeurs, lors de leur audition, de justifier les résultats observés sur leurs véhicules et de proposer un plan d’amélioration. La question du rôle joué par l’ordinateur de bord des voitures a toutefois été posée par des membres lors des discussions au sein de la commission et mériterait d’être approfondie », explique-t-on au ministère, tout en évoquant la possibilité de futurs travaux pour cette commission.
« Il y a une grave crise de confiance. Tous les citoyens réclament la transparence, insiste de son côté le sénateur (LR) des Alpes-Maritimes Louis Nègre, lui-même membre de la commission Royal. Dès lors, ces informations, comme le code source des logiciels qui relèvent du secret des affaires, devraient être mises à la disposition d’instances habilitées à en juger en toute confidentialité, de façon à rassurer les citoyens et à permettre aux constructeurs de retrouver leur crédibilité. »
Les organisations FNE et RAC rappellent aussi « l’impérieuse nécessité de faire preuve de transparence ». Alors que 86 véhicules ont été, à ce jour, testés par l’UTAC Ceram, elles déplorent le fait que les membres de la commission n’aient toujours pas eu accès aux derniers résultats.