En Turquie, pas de négociations en vue entre le PKK et l’Etat
En Turquie, pas de négociations en vue entre le PKK et l’Etat
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Malgré la condamnation immédiate de la tentative de putsch par le HDP, le parti prokurde, les affrontements se poursuivent au Kurdistan.
Des partisans du HDP (prokurde) rassemblés à Istanbul, le 23 juillet, contre la tentative de coup d’Etat militaire. | Petros Giannakouris/AP
Cinq policiers des forces spéciales ont été tués, lundi 1er août à Bingol, dans l’est de la Turquie, par l’explosion d’une charge placée sur le trajet de leur véhicule. Les jours précédents, douze soldats avaient trouvé la mort dans la province de Hakkari (sud-est) et à Ordu, une ville du littoral de la mer Noire (nord), dans des attaques attribuées à la guérilla kurde du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit en Turquie). Confronté à l’échec de sa « guérilla urbaine », quand ses militants armés ont déclaré « l’autonomie » au cœur des villes kurdes du sud-est à l’automne 2015, au prix de lourdes pertes (5 000 rebelles tués), le PKK poursuit sa guerre de harcèlement contre les forces turques.
L’attaque survenue dimanche à Ordu, une région où le PKK est peu présent, a causé la mort de trois soldats. Elle a été revendiquée par le Front populaire révolutionnaire uni, une association formée par le PKK et huit groupuscules extrémistes. Fondée en avril, elle est dirigée par Duran Kalkan, une figure du PKK. Ce groupuscule n’a aucun soutien – pas plus que le PKK – auprès de la population de la mer Noire. Les assaillants ont donc rapidement été encerclés par les forces spéciales non loin de Mesudiye, où l’accrochage avec l’armée avait eu lieu. Une battue a été organisée, à laquelle se sont joints les villageois de Mesudiye, armés de leurs fusils de chasse.
Troisième force du Parlement turc
Les attaques de la rébellion kurde avaient pourtant faibli en intensité immédiatement après la tentative de putsch du 15 juillet, à laquelle ont participé des officiers de haut rang chargés des opérations antiterroristes contre le PKK, ranimant l’espoir d’un retour aux pourparlers de paix entre Ankara et le PKK, interrompus à l’été 2015. Les chasseurs bombardiers des putschistes ont décollé le 15 juillet de la base de Diyarbakir, la grande ville du Kurdistan de Turquie, pour bombarder le Parlement à Ankara. Le commandant de la 2e armée, Adem Huduti, chargé de la protection de la frontière avec la Syrie et l’Irak, faisait partie des conjurés, il a été arrêté.
Nombreux sont les Kurdes qui, sur les réseaux sociaux, se sont réjouis de cette arrestation. « Il paye ce qu’il a fait à Cizre », disaient les commentaires. Ville du Kurdistan de Turquie, Cizre a été détruite par les combats entre les rebelles kurdes et les forces turques à l’hiver 2015-2016, des dizaines de militaires et de civils ont perdu la vie.
Après l’échec de la tentative de putsch, l’idée d’une reprise des pourparlers entre le PKK et le gouvernement islamo-conservateur a commencé à germer. Il faut dire qu’aux premières heures du soulèvement, le Parti de la démocratie des peuples (HDP, prokurde), troisième force du Parlement turc, s’est rangé aux côtés de Recep Tayyip Erdogan, le président élu, contre les putschistes. Les Kurdes n’avaient aucun intérêt à soutenir l’avènement d’une junte militaire en Turquie, dont, tôt ou tard, ils auraient fait les frais. « Nous sommes heureux que le putsch n’ait pas réussi », a déclaré Selahattin Demirtas, le président du HDP (la vitrine politique du PKK), lors d’une rencontre avec la presse étrangère à Istanbul, le 29 juillet.
M. Demirtas était à Diyarbakir, chez lui, avec sa femme et ses enfants dans la nuit du 15 au 16 juillet : « Lorsque la nouvelle du putsch m’est parvenue, j’ai pensé que je serais probablement arrêté au petit matin. » Très vite, il a joint sa voix à celle des deux autres partis d’opposition pour condamner la tentative de renversement du pouvoir islamo-conservateur, avec lequel les relations sont pourtant tendues depuis la rupture des pourparlers de paix turco-kurdes, en juillet 2015.
Pour autant, le président Erdogan ne semble guère décidé à renouer avec le parti prokurde. Après les événements du 15 juillet, les leaders de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, le secrétaire général du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche), et Devlet Bahçeli, le chef du Parti de l’action nationaliste (MHP, extrême droite) ont été reçus au palais par le président. Selahattin Demirtas, lui, n’a pas été convié.
« Il n’y avait pas que des gülenistes parmi les putschistes »
Le coprésident du Parti de la démocratie des peuples (HDP, prokurde), Selahattin Demirtas, prend la parole lors d’un rassemblement de ses partisans contre la tentative de putsch militaire, le 23 juillet, à Istanbul. | OZAN KOSE/AFP
Le CHP et le MHP ont par ailleurs été invités à se joindre au grand rassemblement prévu le 7 août à Yenikapi pour célébrer le triomphe de M. Erdogan, mais pas le HDP. En revanche, le parti prokurde a été encouragé à participer aux débats qui vont bientôt s’ouvrir sur l’adoption d’une nouvelle Constitution, taillée à la mesure des aspirations absolutistes de M. Erdogan. « Le gouvernement a dit que nous serions invités à participer aux débats, mais pour l’instant, nous n’avons rien reçu de concret. »
Les pourparlers de paix pourraient-ils reprendre ? « Il n’y aura pas de retour à la table de négociations dans l’immédiat. Nous n’avons reçu aucun message du gouvernement à ce sujet », explique le leader kurde. Et si les autorités voulaient vraiment renouer avec le processus de paix, « il leur faudrait faire cesser l’isolement d’Abdullah Öcalan ».
Incarcéré à vie sur l’îlot prison d’Imrali en mer de Marmara, Öcalan, le fondateur du PKK, est privé de visites depuis plus d’un an.
« Si le gouvernement avait vraiment à cœur de démocratiser le pays, la première chose à faire serait de trouver une solution au problème kurde. »
Bien qu’ayant pris fait et cause pour le président légitime, M. Demirtas reste critique de sa politique. Il est convaincu, par exemple, que la tentative de coup d’Etat n’est pas à mettre au seul compte du prédicateur musulman Fethullah Gülen, désigné par Ankara comme le cerveau de la conjuration. « Il n’y avait pas que des gülenistes parmi les putschistes, il y avait aussi des factions mécontentes de la politique du gouvernement. » Quant aux gülenistes, « ils ne sont pas arrivés là par hasard. Ils ont joui pendant des années du soutien d’Erdogan et de son parti, qui leur ont ouvert toutes grandes les portes des institutions ».