Un Français peut-il tenter impunément de rejoindre les rangs des terroristes en Syrie ou en Irak ? C’est ce qu’a laissé entendre le député Les Républicains Benoist Apparu sur France Inter, mercredi 3 août. L’ex-ministre a affirmé qu’en cas d’échec, par exemple s’il ne peut passer la frontière turque, le candidat au djihad ne peut être inquiété à son retour en France. Des exemples montrent pourtant le contraire. Explications.

CE QUE BENOIST APPARU A DIT

« Aujourd’hui vous avez effectivement la possibilité de qualifier ce voyage, entre guillemets, ce djihad, d’entreprise terroriste. Pas la tentative. Or, on voit bien que dans la plupart des cas ce sont des jeunes qui effectivement vont jusqu’en Turquie mais ne peuvent pas pénétrer en Turquie donc reviennent en France. (…) Pour celui qui tente, aujourd’hui, nous sommes effectivement dans l’impunité. »

Relancé par le journaliste de France Inter Pierre Weill, qui a mis en doute ses affirmations, Benoist Apparu s’est montré catégorique :

« Nous avons effectivement fait la vérification pour voir si juridiquement le qualificatif existait. Ce n’est pas le cas. Aujourd’hui pour la seule tentative vous ne pouvez pas. Vous pouvez avoir l’association de malfaiteurs à vocation terroriste pour celui qui a fait le djihad, pas pour celui qui a tenté de le faire. (…) On verra devant les tribunaux ce que ça donnera, a priori pas grand-chose. »

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Durée : 10:49

POURQUOI C’EST FAUX

Et pourtant, l’argumentation de l’ex-ministre est démentie autant par les textes de loi que par des exemples précis.

1. La loi prévoit bien le cas des projets terroristes. L’article 421-1 du code pénal, qui définit les actes de terrorisme, prévoit bien le cas des projets terroristes. C’est « l’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes », l’article 421-2-1 prévoyant que « constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme ». Ce n’est donc pas seulement la réalisation, mais aussi l’intention qui est visée.

Les peines encourues sont alors de dix ans d’emprisonnement et 225 000 euros d’amende et peuvent être aggravées jusqu’à trente ans de prison et 500 000 euros d’amende pour « le fait de diriger ou d’organiser » le réseau.

2. Des condamnations pour projets de départ pour le djihad. Benoist Apparu parle d’« impunité » dans le cas particulier des tentatives avortées de rejoindre les terroristes. Plusieurs exemples montrent pourtant le contraire.

D’abord celui d’Adel Kermiche, l’un des deux tueurs de Saint-Etienne-du-Rouvray, a tenté deux fois de partir pour le djihad, sans y parvenir. Sa première tentative lui a valu une mise en examen en mars 2015 et un placement sous contrôle judiciaire. Son deuxième échec, en mai 2015, lui vaut une nouvelle mise en examen et dix mois de détention provisoire. Alors qu’Adel Kermiche « n’avait pas réussi à rejoindre la Syrie et n’était pas en contact avec des membres de l’EI sur zone », a rappelé à L’Express l’ex-juge antiterroriste Marc Trévidic, qui l’avait mis en examen.

Le cas de trois candidats au djihad interpellés à l’aéroport de Saint-Etienne en 2012, avant leur départ, montre que de telles poursuites ne sont pas vaines. Ces trois jeunes de 21 à 26 ans ont été condamnés en 2014 à des peines de quatre à cinq ans de prison ferme pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes terroristes », sans jamais avoir mis les pieds en Syrie là encore.

Créer une qualification spécifique faciliterait-il vraiment le travail de la justice ?

Dernier argument de Benoist Apparu : la qualification d’« association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes » serait trop large. Il serait donc plus efficace selon lui d’isoler ce cas précis dans la loi.

Cela pourrait néanmoins poser d’autres problèmes. D’abord, l’article 111-4 du code pénal dit que « la loi pénale est d’interprétation stricte ». Cela veut notamment dire que lorsqu’il existe une règle spécifique, on ne peut pas en utiliser une autre avoisinante. Avec le risque, en cas de mauvaise qualification, d’entraver des enquêtes.

Par ailleurs, l’aspect relativement vaste de l’association de malfaiteurs a un intérêt pour les enquêteurs, qui utilisent ce qualificatif pour mener des enquêtes larges, et pas restreinte au seul projet de départ d’un candidat au djihad.

Raison pour laquelle le ministère de la justice qualifiait l’infraction de « clé de voûte » de la lutte antiterroriste en France en réponse à une question à l’Assemblée nationale en janvier 2016. Elle permet selon la chancellerie « d’ouvrir des enquêtes judiciaires très en amont, incriminant les actes préparatoires aux actes de terrorisme », ce qui l’amène à estimer qu’il « importe de ne pas en affaiblir la portée par une multiplication de circonstances dérogatoires ».