Des trous noirs pas si noirs
Des trous noirs pas si noirs
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO
En recréant en laboratoire des analogues des trous noirs cosmiques, un chercheur a réussi à confirmer une prédiction : des particules s’échappent bien de ces objets célestes.
Le marketing avait inventé les lessives qui lavent plus blanc. Les physiciens viennent, eux, de créer des trous noirs pas vraiment noirs. Mais c’est plus sérieux.
Il a d’abord fallu fabriquer un trou noir en laboratoire. Premier exploit car, dans les galaxies, ce genre d’objet est plutôt glouton : sa masse, jusqu’à des milliards de fois plus grande que le Soleil, attire tout ce qui passe à sa portée et surtout empêche la matière et même la lumière d’en sortir. Fort heureusement, le trou noir du Technion – Institut israélien de technologie, à Haïfa, en Israël, n’est qu’un analogue de ces géants cosmiques. Au lieu de capturer la lumière ou la matière, il piège le son. Mais ce n’est évidemment pas une simple pièce insonorisée.
Jeff Steinhauer décrit son « ersatz » dans Nature Physics du 15 août. Dans un cylindre de 100 micromètres de long, il a refroidi par des lasers environ un million d’atomes de rubidium quasiment au zéro absolu (environ – 273 °C) pour fabriquer une mélasse appelée condensat de Bose-Einstein. Les atomes s’y comportent uniformément, telle une armée marchant au pas. Puis il a comme scindé la matière en deux régions. Dans l’une, des ondes acoustiques peuvent se propager normalement, dans les deux sens. Dans l’autre, « elles sont comme un nageur essayant de remonter un courant plus fort que lui », explique Jeff Steinhauer. Du coup, le son ne peut s’échapper, comme dans un trou noir.
Pour augmenter fortement la vitesse du courant d’un côté, le chercheur envoie un coup de laser bleu au milieu du canal, comme si soudain il créait une chute d’eau, accélérant le fluide : la marche devient trop haute pour les « saumons » acoustiques qui voudraient la franchir. Le trou noir et sa terrible frontière, appelée horizon, sont bien là.
L’idée de Stephen Hawking confirmée
Le chercheur l’avait, en fait, déjà démontré en 2010 et 2014, tout comme d’autres équipes dans des systèmes différents : vagues de surface, lumière dans des fibres optiques, gaz de photons… Cette fois-ci, il est allé plus loin, en observant pour la première fois qu’un trou noir n’est pas vraiment noir, que le glouton ne fait pas qu’avaler et qu’il éructe aussi un peu, confirmant ainsi une idée de Stephen Hawking.
Le cosmologiste britannique avait en effet prédit, en 1974, qu’un rayonnement doit s’échapper de l’horizon, une « fuite » qu’il expliquait ainsi : le vide cosmique n’est pas vraiment vide et, en permanence, à cause de la mécanique quantique, des paires de particules et d’antiparticules apparaissent, s’annihilent, apparaissent, s’annihilent, etc. Tout va très vite et ces sarabandes nous échappent. Sauf si l’un des membres de la paire tombe dans le trou noir, laissant l’autre libre : les particules libérées forment le fameux rayonnement dit de Hawking. Problème, cette radiation est très faible, un milliard de fois moins intense que celle baignant tout l’Univers. Elle serait encore plus difficile à voir qu’une luciole dans le phare d’une voiture.
Jeff Steinhauer dans son laboratoire du Technion (Institut israélien de technologie, à Haïfa, en Israël), près des lasers utilisés pour fabriquer un trou noir artificiel. | Nitzan Zohar
Et c’est ce qu’a vu Jeff Steinhauer, en observant pendant six jours d’affilée son mini-trou noir : quelques ondes sonores sont émises simultanément par paires, de part et d’autre de l’horizon. « J’étais content lorsque j’ai vu ces deux sillages, car j’ai travaillé dur, seul, pendant des mois », avoue le physicien.
« C’est la première expérience convaincante qui observe la radiation de Hawking. C’est une vraie percée », estime Iacopo Carusotto, chercheur du Centre national italien de la recherche, à Trente. « C’est l’aboutissement d’un projet de plus de vingt ans et la confirmation des prédictions de Hawking », estime Renaud Parentani, professeur à l’université d’Orsay (Essonne), évoquant les propositions de William Unruh, en 1981 et surtout en 1995, qui ont lancé la course aux trous noirs artificiels.
Explorer les lois de la gravité quantique
L’article de Nature Physics va plus loin. Il montre que ces corrélations entre les deux côtés du « trou noir » sont de nature quantique, exactement comme dans le modèle de Hawking. « C’est encore plus exceptionnel », salue Iacopo Carusotto, qui a une expérience en cours avec des Français sur le même sujet.
« L’histoire de ces analogues montre que souvent les choses apparaissent plus compliquées que ce qu’elles semblent être au départ. Beaucoup de ces expériences ont suscité des débats et celle-ci sans doute aussi », note cependant Ulf Leonhardt, de l’Institut Weizmann (Israël), l’un des pionniers du domaine. Il souligne notamment une contradiction dans les résultats de Jeff Steinhauer pour ce qui concerne les ondes de basse fréquence. Renaud Parentani préfère parler, lui, de « mystère à éclaircir » à propos de cette observation, qui n’est pas conforme à la théorie.
L’histoire n’est donc pas terminée, et pas seulement sur le front des controverses. Elle ouvre bien des perspectives et en particulier l’espoir de mieux cerner ces objets étranges que sont les trous noirs. Entre autres bizarreries, ils posent un paradoxe : où va l’information portée par une particule lorsqu’elle disparaît derrière l’horizon ? Ces systèmes artificiels permettront peut-être aussi d’explorer les lois de la gravité quantique, ce mélange entre la relativité générale et la mécanique quantique, un cocktail nécessaire pour décrire la physique des trous noirs mais que personne n’a encore réalisé.
Peut-on sortir d’un trou noir ?
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